Bijoux

Christie’s change de politique

\"Never too thin, never too rich\"

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 564 mots

Depuis plusieurs années, Sotheby’s taille des croupières à Christie’s dans les ventes de bijoux ; François Curiel, Monsieur Bijoux de Christie’s, est déterminé à y mettre fin.

GENÈVE - François Curiel, dans ses fonctions de directeur du département international de haute joaillerie de Christie’s, a dû affronter pendant des années la situation la plus paradoxale qui soit : être l’homme le plus brillant et le plus connu du monde des ventes de bijoux, et être incapable de battre la maison rivale Sotheby’s. On en est même arrivé, en 1993, à des résultats caricaturaux, Christie’s ayant 37 % du marché alors que Sotheby’s en détenait 63 %. Dès les ventes de ce mois de mai à Genève, une politique radicalement différente sera appliquée par Christie’s dans ses ventes de bijoux. Trois zones géographiques ont été dessinées, avec pour chacune des objectifs de vente bien précis.

Genève sera la place Vendôme des ventes de bijoux. Le plus beau, le plus luxueux y sera proposé deux fois par an, comme cela est le cas actuellement, mais avec des catalogues complètement différents. Le temps est fini des publications qui faisaient penser à des ventes par correspondance, avec plus de neuf cents lots, où le meilleur disparaissait sous des tonnes de marchandises irregardables et inachetables. L’adage de la duchesse de Windsor semble absolument d’actualité : "Never too thin, never too rich". Le catalogue de mai comporte moins de quatre cents lots, et la limite inférieure des prix a été élevée à 50 000 dollars. Les ventes annuelles de février à Saint-Moritz seront construites de la même manière.

La seconde zone géographique comprend tous les pays membres de la Communauté européenne. La libre circulation des objets entre ces pays permettra de développer de façon rigoureuse les ventes actuelles de Londres et d’Amsterdam. En règle générale, tous les lots de moins de 50 000 dollars confiés à Christie’s seront vendus sur ces deux places, qui dispersaient auparavant surtout des bijoux produits avant la Première Guerre mondiale.
La possibilité d’utiliser deux salles de ventes distinctes à New York permettra à Christie’s d’appliquer cette division économique de manière naturelle. Le haut du pavé reviendra aux salles de ventes de Park Avenue, et la salle de Christie’s East mettra en vente les lots de moindre qualité, comme c’est le cas actuellement, mais en haussant la limite des prix au niveau européen.

Enfin, ce n’est un secret pour personne que les mauvais résultats de vente en pourcentage des dernières vacations de Saint-Moritz étaient largement dus à une trop grande quantité de bijoux industriels, sans aucune innovation esthétique et de piètre qualité, provenant de marchands. François Curiel semble fermement décidé à ne plus répéter ce type d’erreur.

Certes, définir une nouvelle politique et l’appliquer sont deux notions bien distinctes. Sur le papier, cette nouvelle stratégie est bien séduisante. Mais, souvent, la peur d’être surpassé par son concurrent amène à retomber dans les vieilles habitudes pernicieuses. Les ventes de Genève de ce mois de mai permettront à Christie’s de roder cette nouvelle approche d’autant plus facilement que toute l’attention du public sera tournée vers Sotheby’s, qui met en vente les magnifiques bijoux d’Hélène Beaumont. L’enjeu pour François Curiel et Christie’s est très important. Les ventes de bijoux sont, avec les ventes d’art moderne, les plus rentables. Les résultats globaux d’une année se jouent sur elles. L’âpreté de la concurrence entre les deux maisons ne permet aucune erreur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Christie’s change de politique

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