Drouot

Le paiement au comptant du vendeur : principe et réalité

Du catalogue aux circulaires, la garantie s’apprécie différemment

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 740 mots

La remise en vente, par Me Jean-Claude Binoche, le 29 avril, de cinq tableaux de la collection Bourdon, a soulevé des interrogations sur les garanties réellement offertes en vente publique par les commissaires-priseurs français.

PARIS - Ces toiles étaient restées impayées à leur vendeur depuis leur adjudication par Me Guy Loudmer le 25 mars 1990, lors de la célèbre vente Bourdon. Or, les "conditions de la vente", que contiennent tous les catalogues de Drouot, ne rappellent-elles pas, très clairement, l’obligation de "payer comptant" ? Le commissaire-priseur n’est-il pas obligé de payer son vendeur dès le coup de marteau qui signifie, selon le droit français, transfert de propriété ?

La réalité quotidienne de cette "garantie" est bien différente. Par deux circulaires de Drouot, en date du 22 décembre 1992 et du 26 janvier 1993, la Chambre parisienne, alertée par un nombre important d’escroqueries et d’impayés, a conseillé à tous ses confrères d’insérer dans les réquisitions de ventes à faire signer par leurs vendeurs la mention suivante : "Le commissaire-priseur sera tenu de payer le vendeur lorsqu’il aura été réglé par l’adjudicataire".

Pour la vente Bourdon, Me Loudmer avait de son côté, fait signer un mandat aux termes duquel ses clients vendeurs acceptaient de n’être payés qu’une fois le paiement encaissé, une précaution qui a évité bien des ennuis au commissaire-priseur dans le cadre de cette vente, tout comme lorsque Alain Delon a manifesté quelque lenteur à régler son bordereau d’achat pour la Belle Épicière de Modigliani.

La réalité économique
"Le paiement au comptant figure seulement au Code de procédure civile, qui concerne les voies d’exécution ou ventes forcées. Comme tant d’autres choses, il est dans l’inconscient collectif. Mais ce n’est pas vrai en ce qui concerne les ventes volontaires. C’est si peu vrai que les textes nous obligent à recevoir des chèques pour tout règlement au-dessus de 150 000 francs ! ", indique Me Loudmer.

Les règles de procédure accroissent, selon lui, les difficultés à se faire payer : "En France, on ne peut pas poursuivre le mauvais payeur selon le droit commercial, mais seulement selon le droit civil. Et celui-ci ne prévoit aucune procédure d’urgence. Chaque dossier prend de six mois à trois ans, et nécessite entre 25 000 et 50 000 francs en honoraires d’avocats et autres frais." L’enchérisseur qui n’avait pas réglé les cinq tableaux Bourdon étant résidant à l’étranger, Me Loudmer n’a même pas envisagé de le poursuivre.

Selon lui, les quelques textes et les nombreux usages qui règlent les activités du commissaire-priseur ne correspondent simplement plus à la réalité économique. Si le commissaire-priseur n’est obligé de payer le vendeur qu’une fois l’argent de la transaction encaissé, et s’il doit compléter les conditions de vente par une clause de réserve de propriété, son statut ne dérive-t-il pas vers une pratique purement commerciale ? "Disons que nous avons le même devoir de prudence et de diligence – et non pas de résultat – qu’un médecin, qui ne peut garantir qu’il va vous guérir", estime Me Loudmer.

Le récent projet de Drouot de rendre ses ventes plus attrayantes grâce à l’introduction d’une "carte privilège" n’est pas, pour Me Loudmer, adapté aux réalités de l’époque. "Ce ne sera qu’une carte de crédit, style Grands Magasins. Ce dont nous avons besoin, comme Sotheby’s ou Christie’s, c’est de nous assurer que le futur acheteur est solvable. Or actuellement, en France, la vente est ouverte à tout le monde", nous a-t-il déclaré.

Pour le président de Drouot, Me Joël-Marie Millon, "les Français sont statutaires, tout ce qui est britannique est volontaire". "Les Anglais font ce qu’ils veulent, c’est simple. Notre rôle d’arbitre est d’être le garant de l’authenticité de l’objet et de la certitude, quand nous avons touché l’argent, que la solidarité collective jouera pour que le vendeur soit payé. C’est une garantie contre la non-solvabilité du commissaire-priseur". Me Millon rappelle que le paiement au comptant est régi par une loi de 1945. "À ce moment-là, les chèques n’étaient pas à la mode", ajoute-t-il. "Aujourd’hui, nous considérons qu’un chèque est "paiement au comptant". En cas de vente aux musées, on peut attendre six mois pour encaisser les fonds. C’est donc difficile à appliquer".

Le président de Drouot met en garde ses confrères contre les chèques sans provision. "C’est au commissaire-priseur d’être prudent, de ne pas livrer des marchandises impayées. Nous ne disposons pas de statistiques précises concernant le nombre et l’importance des chèques sans provision, mais nous sommes assurés collectivement contre ce risque."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Le paiement au comptant du vendeur : principe et réalité

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