Le Parlement de Bretagne, trois mois plus tard

Après l’incendie de février, voici venu le temps des restaurations

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 811 mots

Aujourd’hui, Rennes panse ses plaies. À son chevet, s’affairent ébénistes, doreurs et restaurateurs. Mais le rétablissement du Palais promet d’être lent et délicat.

RENNES - Le chantier est de taille. À sa tête, Alain-Charles Perrot, architecte en chef des Monuments Historiques pour l’Ille-et-Vilaine. Le Parlement, classé en 1883 monument historique est, en effet, sous la double tutelle des ministères de la Justice et de la Culture. Première priorité : étayer les maçonneries et déblayer. Pas question pourtant d’évacuer massivement les gravats. Ils devront être minutieusement triés. Il s’agit ici de récupérer le moindre vestige qui pourra servir de modèle, à moins qu’il ne soit directement réutilisable. En second lieu : bouter le froid et l’humidité hors des murs du Palais en construisant une vaste protection de tôle au- dessus du bâtiment, en guise de parapluie. Des machines absorbent l’air humide et rejettent de l’air sec à l’intérieur du Palais – si l’on peut encore parler d’intérieur et d’extérieur au milieu de ces murs branlants.

Sauvés des flammes, mais malmenés par l’eau, les décors – conçus notamment par l’atelier de Charles Errard – requièrent des soins de première urgence. Il faut apposer sur les lambris peints une couche de papier japon – un papier très fin et non tissé, qui par conséquent ne joue pas – pour maintenir la couche picturale. Il faut aussi déposer les panneaux de bois et les fixer, sous presse, pour éviter qu’ils ne "vrillent", dans des châssis spécialement conçus sur place. Les ébénistes chargés de la restauration estiment que le degré d’humidité dans les salles du Parlement atteint 85 %. Michel Jamet, l’un d’entre eux, rappelle que l’incendie s’est heureusement déclenché en plein hiver, en saison pluvieuse. La chaleur et la sécheresse de l’été aurait été fatals aux boiseries, sensibles aux écarts hygrométriques. "Les locaux aménagés pour la restauration des lambris devront compter plusieurs pièces au degré d’humidité décroissant afin de réhabituer en douceur le bois à une atmosphère plus sèche?", souligne ce spécialiste.

Des équipes de doreurs s’affairent et tentent de sauver les dorures des panneaux et des plafonds. Ils appliquent de la colle de peau de lapin sur les éclats de feuille d’or qui menacent de se détacher.

Une soixantaine de toiles ont été endommagées. Certaines, comme l’Allégorie de la Justice de Jouvenet, ont dû quitter le Palais en pièces détachées. D’autres "ont dû être littéralement crevées avec des épieux pour libérer l’eau prisonnière sous les plafonds " raconte Jean Aubert, conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Rennes. Les Coypel, les Jouvenet, les Gosse et les Elle ont été déposés et transportés dans des entrepôts au nord de la ville. Des restaurateurs spécialistes des supports – notamment ceux des Ateliers de Versailles – ont accouru dans ce véritable "hôpital de campagne". Ils construisent des châssis extensibles sur lesquels les toiles sont posées à plat, et étendent sur les parties en mauvais état du papier japon. Ils luttent contre la prolifération des champignons et plus particulièrement du chanci, une moisissure blanche due à l’humidité qui s’ingénie à décomposer le vernis et plus profondément la peinture.

Une restauration de longue haleine
Le Palais reçoit les soins de première urgence, mais la restauration proprement dite n’a pas encore commencé. Et dire qu’elle venait juste d’être terminée ! La façade Est, la salle des piliers et l’ensemble du rez-de-chaussée à peine restaurés, devaient être inaugurés les semaines suivantes ! 40 millions de francs avaient été déboursés dans ce but. La restauration des salles décorées devait débuter cette année. Le chantier risque de prendre du retard...
 
Mais, déjà, les initiatives se sont multipliées. Collectivités locales et régionales, Monuments Historiques, ministères de la Justice et de la Culture ont tenu à jouer un rôle. À chacun son bout de ruines. L’Association pour la renaissance du Parlement de Bretagne, créée à l’instigation de la ville de Rennes, du conseil régional, du conseil général, de Ouest France et de France 3-Ouest, a déjà collecté 25 millions de francs.

Optimiste, Jacques Toubon annonçait, le 23 mars dernier, que la restauration du Palais serait acquise pour "la fin de la décennie." Dubitatifs, les spécialistes préfèrent parler d’une quinzaine d’années. Les travaux de reconstruction seront conduits lors de deux opérations distinctes. La première portera sur le rétablissement du clos et du couvert. La seconde sur la réhabilitation des décorations intérieures et leur remise en place. D’autre part, la création d’un atelier de restauration pour les lambris, décors sculptés et toiles peintes a été promise. Il sera basé à Rennes et sera appelé à devenir un atelier décentralisé pour toute la région Ouest.

Combien cela coûtera-t-il ? Réponse dans quelques mois. Pour le moment il faut patienter. Et ces "Messieurs du Palais" attendent dans des locaux de fortune qu’on leur rende leur Parlement. Ils espèrent seulement que les travaux s’achèveront plus promptement qu’aux temps de leurs ancêtres. Au XVIIe siècle, ils avaient duré trente-six ans...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Le Parlement de Bretagne, trois mois plus tard

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