Bas Jan Ader à l’ARC

"Please don’t leave me"

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 609 mots

Inconnu en France, Bas Jan Ader a élaboré, au début des années 70, une œuvre dont la forme très modeste et la charge émotionnelle peuvent éclairer de nombreuses recherches actuelles. Paris lui rend un hommage discret.

PARIS - Après le Musée Boymans de Rotterdam l’été dernier, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend hommage à l’artiste hollandais Bas Jan Ader (Winschoten 1942-1975), dans le cadre de Migrateurs, série d’interventions légères proposées par Hans-Ulrich Obrist à l’ARC.

L’exposition est introduite par la photographie d’une installation de 1969, pour laquelle l’artiste avait écrit en grandes lettres bâton sur le mur Please don’t leave me. Il faudrait y voir un manifeste tant l’œuvre de Bas Jan Ader, si elle fut brève, reste bouleversante. On peut regretter, d’ailleurs, que le Musée lui consacre si peu d’espace. La reconstitution de ses installations désordonnées aurait sans doute permis de réviser le travail de jeunes artistes dans le vent, comme Karen Kilimnik ou Matt Collishaw. Reste donc quelques travaux photographiques qui auraient, là encore, mérité de rejoindre, dans la prolongation de la partie historique de l’exposition – La beauté exacte –, les salles de l’ARC, où l’on a pris un parti délibérément pictural, reléguant photographes et vidéastes dans les salles de documentation.

Quand Bas Jan Ader, dans une série comme On the road to a New Neo Plasticism (1971), évoque avec son corps et des objets de couleurs primaires, la discorde entre Mondrian et Van Dœsburg au milieu des années 20, c’est tout le passé artistique de son pays qui semble peser sur ses épaules. Pays qu’il quittera d’ailleurs en 1963 pour s’exiler aux Etats-Unis, où il rencontra John Cage et un compatriote, Ger Van Elk. Mais Bas Jan Ader ne semble jamais trouver sa place, et l’œuvre est nécessairement ailleurs. La photographie ou la vidéo ne sont que les modes d’enregistrement d’un vécu. Que l’artiste se laisse rouler du toit de sa maison, ou qu’il y disperse ses vêtements ; qu’il chute droit d’un arbre dans le fleuve, ou qu’on le voie en larmes sur une photo sur laquelle il appose It’s too sad to tell you (1970) : chaque œuvre marque ainsi davantage sa solitude et son désarroi. Il le fait tantôt de manière romantique, avec cette photographie en hommage à Caspar David Friedrich, qui détache sa silhouette sur un coucher de soleil ; tantôt avec humour, dans cette séquence où, pour une Tea Party au milieu des bois, il referme progressivement sur lui une caisse qui l’isole du monde comme de l’image. Il semble qu’il n’ait jamais pu trouver sa place dans un monde décidément trop hostile.

L’œuvre la plus troublante présentée ici est, sans doute, ce long travelling de 18 photographies en noir et blanc, où il erre dans la nuit, éclairant vaguement avec sa lampe torche quelques endroits de Los Angeles, In search of the Miraculous (1973). Dans le bas des images, searching revient comme le refrain d’une chanson triste, où il est l’unique acteur de son destin : si j’avais à traverser une rivière à la nage, tu sais que je le ferais ; et si j’avais à escalader une montagne, tu sais que je le ferais… Cette œuvre aurait dû être la première d’un triptyque dont Bas Jan Ader avait fixé le terme en Europe. En 1975, il quitta Cape Cod, au nord de la côte Est, sur un petit monocoque, pour traverser l’Atlantique à la voile.
Ici s’est perdue sa trace.

Migrateurs, Bas Jan Ader, jusqu’au 29 mai 1994, ARC-Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 av. du Pdt Wilson 75116 Paris, Tél. 47 23 61 27 Publication accompagnant l’exposition(8 p.), 10 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : "Please don’t leave me"

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