Londres

Du cheval considéré comme une œuvre d’art

Douze investisseurs pour le nouveau projet d’art conceptuel de Mark Wallinger

Par Roger Bevan · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 516 mots

Une nouvelle œuvre d’art conceptuel met le marché en effervescence. A Real Work of Art : tel est le nom porté à la fois par le projet de l’artiste britannique Mark Wallinger et par une pouliche alezane pur sang, entraînée actuellement à Newmarket, dans l’écurie de Sir Mark Prescott.

LONDRES - Pourquoi faire d’un cheval de course "a real work of art", une œuvre d’art ? Tout simplement à cause d’une analogie tentante entre l’industrie hippique et le marché de l’art, thème que Mark Wallinger a déjà abordé, au moyen de procédés plus classiques, notamment dans "Race, class, sex", série de quatre portraits à l’huile grandeur nature d’étalons appartenant au cheikh Mohammed de Dubaï, qui occupait une salle d’une exposition de jeunes artistes britanniques à la Saatchi Collection en 1993.

La pouliche, achetée par l’artiste en Irlande à l’automne dernier, devait être prête pour le début de la saison des courses de plat, mais en fait, elle ne sera engagée dans aucune course avant septembre. Choix discrètement subversif, les couleurs sous lesquelles Mark Wallinger s’est inscrit au Jockey Club, – le violet, le vert et le blanc –, sont les couleurs mêmes du mouvement des Suffragettes : on se souvient d’Emily Davidson, qui se jeta devant le cheval du roi George V en 1913, au Derby d’Epsom.

"Issu de Vélasquez et de Manet"
Comme les journalistes britanniques l’ont rapidement compris, l’artiste appartient à une écurie, et il est représenté par un marchand-entraîneur, qui le prépare à une brillante carrière en organisant des expositions et en le mettant en compétition avec les autres artistes. Enfin, les œuvres de l’artiste sont les trophées qui récompensent la confiance des collectionneurs, ou investisseurs. Sa casaque – les couleurs qui le distinguent de ses concurrents –, c’est son style. À intervalles réguliers, on publie des catalogues, en relatant sa généalogie, "issu de Vélasquez et de Manet" et ses exploits.

Évidemment, il existe une différence essentielle. L’art, comme les chevaux, peut être rangé au nombre des plaisirs de l’homme riche, mais le sport hippique a enfoui ses racines dans l’histoire et le tempérament britanniques : le pesage est un lieu où se rencontrent réellement tous les groupes sociaux, alors que la possibilité de contempler en privé les œuvres d’une galerie d’art appartient plutôt à une minorité, voire une élite. C’est ce paradoxe qu’examine ce nouveau projet. "A Real Work of Art" appartient à une société coopérative de douze investisseurs, chacun d’eux ayant acheté une part de 1750 livres sterling (15 500 francs). Sont membres de la société Anthony Reynolds, marchand de l’artiste, Jim Wallinger, son père, James Lingwood (Artangel), Simon Lee (Gimpel Fils), David Juda, John Bewley (Locus Newcastle), la collectionneuse Jill Ritblat, et trois investisseurs allemands, Gerhard Reinz, Anna Friebe et Peter Vischer. Des fonds supplémentaires ont été réunis grâce à la vente d’une statuette en métal représentant un cheval et son jockey, peinte aux couleurs de M. Wallinger. L’édition de l’objet a été limitée à cinquante exemplaires, et à l’heure où nous mettons sous presse, il s’en est vendu quarante-cinq, au prix de 250 livres chacun (environ 2 200 francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Du cheval considéré comme une œuvre d’art

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