Foire & Salon

Cartes blanches sur "Art Feature"

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 868 mots

Art Basel rebaptise sa section "Art Première" en "Art Feature". Les organisateurs de la foire ont laissé toute liberté aux galeries pour organiser leurs dialogues ou expositions personnelles.

André Cadere
GALERIE ART ATTITUDE (NANCY)
L’art du contre-pied - Quoi de plus audacieux que de présenter, dans le temple du marché, l’un des artistes qui, dès les années 1970, a interrogé le système de validation des structures commerciales ? Tel est le pari de la galerie Art Attitude, qui déploie le parcours d’André Cadere, artiste roumain né à Varsovie et mort à Paris en 1978. Celui-ci s’est d’abord employé à brouiller la distinction entre peinture et sculpture. Un grand tableau de 1968-1969, qui clôture son cycle pictural, voisine avec un ensemble de sculptures jalons jusqu’à la forme nomade du bâton de bois aux ronds colorés. Ces derniers présentent une maladresse artisanale, les ronds n’étant jamais parfaits. À sa façon, Cadere prenait le contre-pied de la délégation industrielle du travail des minimalistes américains. Mais l’artiste ne s’est pas contenté de décloisonner les médiums. Il a aussi perturbé le milieu de l’art. En infiltrant les galeries, en parasitant les vernissages de ses confrères muni du bâton qu’il portait à la main ou posait contre les murs, il questionnait le pouvoir d’exclusion des institutions.

Franz Erhard Walther
GALERIE JOCELYN WOLFF (PARIS)
Focus sur l’année 1963 - Présenté au printemps au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) à Genève, programmé cet automne à la Dia Art Foundation à New York, Franz Erhard Walther est plus mal connu que méconnu. Dans les années 1960, il a inscrit la dimension physique et participative au cœur de son travail, avec des œuvres en tissu que le spectateur pouvait transformer à l’envi. Pour "Art Feature", la galerie Jocelyn Wolff s’est focalisée sur un moment charnière, l’année 1963, et montre à quel point l’artiste allemand fut précurseur pour l’art conceptuel. Très tôt, celui-ci utilise l’air comme matériau. Une sorte de coussinet gonflé et recouvert de pages de magazines (de 1963) semble annoncer le pop art. "C’est une œuvre énorme, avec de nombreuses ramifications. Walther a été une boîte à idées incroyable ces cinquante dernières années, influençant aussi bien John Bock qu’Erwin Wurm, indique Jocelyn Wolff. Il n’est pas un pur dématérialisateur qui entrerait dans la famille de [l’agent d’art] Ghislain Mollet-Viéville. Il n’appartient pas non plus à la famille des fétichistes de la forme. Il se trouve dans une zone peu explorée."

Saâdane Afif
GALERIE MEHDI CHOUAKRI (BERLIN)
Inspiration musicale - Présenté en 2003 par Michel Rein (Paris) sur Art Statements, Saâdane Afif renoue avec la foire de Bâle en proposant une fausse rétrospective. Quoi de plus naturel pour un artiste dont le travail tourne autour de la transformation et du remake ? Pour Art Feature, le prix Marcel-Duchamp 2009 part des chansons écrites pour l’album Down at the Rock and Roll Club, conçu après la Biennale de Moscou en 2005, pour réaliser de nouvelles pièces. L’idée de Mehdi Chouakri (Berlin) est d’ailleurs de montrer la complexité d’un travail imprégné par la musique, emprunt de mélancolie, rétif à une forme unique. Une série de teatrini fait office aussi bien de modèles réduits que d’enceintes. "La pièce a été pensée en deux temps, à la fois comme décor et comme installation dans un espace muséologique", indique l’artiste. Une façon d’éviter que l’œuvre ne soit circonscrite à un seul objet, à un seul dispositif.

Július Koller, Jiri Kovanda et Roman Ondák
GALERIE GB AGENCY (PARIS)
Au nom de l’humilité et de la fragilité - Ce sont des "Promesses du passé" (au Centre Pompidou à Paris, lire le JdA no 324, 30 avril 2010) en miniatures qu’offre gb agency en associant trois générations d’artistes, trois individualités fortes réunies par un socle géographique (l’Europe de l’Est) et conceptuel. Les créateurs jouent sur l’idée de transformation et de va-et-vient temporel, initient des fictions par des microgestes très discrets. Chacun a toutefois développé sa propre méthode. Július Koller et Roman Ondák archivent de la documentation, tandis que Jiri Kovanda attend le moment opportun pour activer une idée notée dans son carnet. L’humilité et la fragilité pointent au coin de chaque travail. Une série de douze dessins réalisés à l’âge adolescent par Július Koller et Roman Ondák, tout comme l’hommage de Jiri Kovanda à Koller avec une balle de ping-pong coincée entre des branchages, souligne le fil ténu reliant ces artistes.

Leonor Antunes et Carol Rama
GALERIE ISABELLA BORTOLOZZI (BERLIN)
Fusion des générations - L’hommage d’une jeune artiste montante à une grande artiste longtemps oubliée. Tel est le propos de l’exposition réunissant la nonagénaire Carol Rama et la trentenaire Leonor Antunes. Cette dernière a créé des pièces en partant de l’atelier turinois de la première. Elles seront montrées en face d’œuvres de Carol Rama datant des années 1950-1970. À cette époque, cette femme rebelle et autodidacte avait cessé ses dessins très sexuels pour des grands aplats et losanges colorés sous l’influence du mouvement milanais MAC (Movimiento Arte Concreta). Dans les années 1970, elle commence à utiliser des tubes de caoutchouc de bicyclette, un matériau courant aussi dans le travail d’Antunes. La jeune artiste portugaise semble aimer les face-à-face avec ses aînées puisqu’elle avait déjà convoqué, à d’autres occasions, les figures d’Eva Hesse et d’Eileen Gray.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Cartes blanches sur "Art Feature"

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