États-Unis

Musées en crise

Vingt grands musées privés de directeur

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 634 mots

Vingt musées américains ne trouvent pas de directeur. L’évolution des responsabilités, devenues plus administratives qu’artistiques, surtout en cette période de crise, explique ces carences.

NEW YORK - Quand le Museum of Modern Art engagera sa directrice ou son directeur, il lui demandera de réunir plus de cent millions de dollars (590 millions de francs) pour la dotation du musée, de trouver ou de faire construire de nouvelles salles pour des collections toujours plus riches, de négocier avec un personnel démoralisé et sous-payé, d’apaiser les collectionneurs membres du conseil d’administration, de concurrencer d’autres institutions pour obtenir les grandes expositions itinérantes qui attirent les foules et de trouver des fonds pour les acquisitions. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas du refus des deux hommes à qui le poste était proposé, James Wood, de l’Art Institute of Chicago et Peter Marzio du Houston Museum of Fine Arts.

Des difficultés insurmontables
Le Musée d’art moderne de New York est une institution unique en son genre, qui abrite en fait sous son toit au moins cinq musées différents, mais les difficultés qu’il rencontre sont partagées par une vingtaine de musées d’art américains, du Boston Museum of Fine Arts au Los Angeles County Museum of Art, en passant par des structures plus petites comme la New York Historical Society.

"C’est indiscutable, les musées font face à une véritable crise", résume Jay Gates, qui a quitté la direction du Seattle Art Museum l’année dernière pour prendre la tête du Dallas Museum of Art. "Les sommes fournies par les entreprises privées n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient autrefois. Les villes, les comtés, les États ont réduit de façon draconienne leurs financements tandis que ceux de l’État fédéral ont diminué presque autant, du fait de l’inflation. Il est évident que ces institutions, qui s’agrandissent et deviennent de plus en plus coûteuses, vont connaître de gros problèmes."

Des directeurs qui ne parlent plus d’art
Aux États-Unis, un directeur de musée gagne au moins 100 000 dollars (590 000 francs environ) par an – parfois beaucoup plus –, sans compter un logement de fonction, une voiture, de somptueuses notes de frais et un accès aux cercles aisés qui financent traditionnellement les musées. On pourrait croire que ces avantages séduiraient de nombreux candidats : il n’en est rien. La nature du poste a changé, affirment les directeurs en place : on doit moins s’occuper des œuvres d’art et beaucoup plus des personnes chargées de trouver des fonds, du service de sécurité et du marketing. À l’origine de cette évolution, le goût des musées américains pour le gigantisme au cours des quinze dernières années.

Des gestionnaires pressés
De même, "le profil des candidats n’est plus le même", souligne le marchand d’art Richard Feigen. "Voici trente ou quarante ans, les directeurs de musées sortaient de Harvard : ils étaient membres des mêmes clubs que les mécènes qui composaient les conseils d’administration. Quant à ces derniers, il s’agit aujourd’hui d’hommes d’affaires pressés, très différents de leurs prédécesseurs. La plupart des conseils d’administration ne veulent pas d’un directeur puissant qui limiterait leur propre pouvoir."

Feigen n’est pas le seul à accuser les trustees des conseils d’administration. Thomas Armstrong, nouveau directeur du Musée Andy Warhol de Pittsburgh, s’est vu obligé de quitter la direction du Whitney Museum of American Art voici trois ans : "Le conseil voulait établir lui-même les programmes, en fonction de ce qui rapportait le plus." Philippe de Montebello, du Metropolitan, trouve la situation inquiétante : "Si les musées sont dirigés par des hommes d’affaires, ils risquent de ne plus pouvoir organiser d’expositions, de ne plus obtenir de prêts. Nous hésiterons avant de prêter une œuvre à un musée qui ne serait pas dirigé par un historien de l’art. Difficile de prendre au sérieux un directeur qui ne parlerait pas d’art et ne s’intéresserait qu’à la Bourse."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Musées en crise

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