Hans-Peter Feldmann à La Flèche

L’art épinglé

L’exposition la moins chère à réaliser

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 657 mots

En retrait de la scène artistique, Hans-Peter Feldmann n’avait pas montré son travail depuis la rétrospective présentée à l’ARC, au Musée d’art moderne de la ville de Paris, fin 92. Ce nouvel arrangement s’attache, une fois encore, à perturber toute forme de hiérarchie entre les images, et fonctionne in extenso, comme la visite-éclair d’un Louvre que certains diraient approximatif.

LA FLÈCHE - Voici, sans aucun doute, l’exposition la moins chère de l’année à réaliser. Hans-Peter Feldmann, né à Düsseldorf en 1941, n’use en effet pour nous faire voyager dans son musée imaginaire que de mauvaises reproductions : images d’images, qui reconduisent les clichés qu’elles génèrent tantôt vers leur sens premier, tantôt vers leur mode de fonctionnement.

Des photocopies, la plupart en noir et blanc, parfois colorées à la peinture à l’eau, sont suspendues par des épingles aux murs décrépis, bleu passé, de l’Hôtel Huger. Des bustes en plâtre, ultimes copies de répliques romaines, déjà d’après des modèles grecs, sur lesquels les étudiants de toutes les académies des beaux-arts planchent encore, ont droit de cité. Coloriés à la gouache, ils recouvrent leur allure antique, polychrome. Sous ce visage flambant-neuf un peu toc, posés sur des socles, ils font face à d’autres bustes, dénichés par Feldmann dans les réserves du feu Musée municipal, recouverts cette fois d’une épaisse couche de poussière, quand les araignées n’y ont pas tissé leur toile. Le spectateur hésite donc à leur accorder une plus grande valeur esthétique, d’autant que le couple de plantes vertes qui encadre la fenêtre (clin d’œil à Broodthaers), s’octroie les mêmes reposoirs. Voilà pour le pan historique de l’exposition qui, dans cette magnifique bâtisse XVIIIe délaissée, donne le ton quelque peu décadent de la suite.

Mise en abîme
Dans la salle concomitante, admirez des photocopies d’images de pin up des années 50, retouchées à la main. Dans une autre, celles de mannequins en sous-vêtements, empruntées à un catalogue de vente par correspondance. Ou encore l’image de cet ensemble veste pied-de-poule/chemise/cravate et pochette assorties, placé derrière une vraie paire de derbys pour homme, vernie rouge, délacée, qu’on ne peut pas mettre. Ce n’est pas faute de bon goût (l’exposition s’applique à montrer combien il n’en est pas de mauvais), mais parce que, présentées sur un socle, ces chaussures acquièrent une réalité improbable, celle de l’image qu’elles devancent, d’un pas.

Les agrandissements de vignettes extraites de l’Encyclopedia Britannica qui rythment le grand escalier (un léopard, l’Acropole, des Indiens, un violon, un chien-loup…), soulignent le caractère encyclopédique de cette présentation. Toute notre culture y est passée au crible, comme dans cette scène des Carabiniers de Jean-Luc Godard (1963), où Michel-Ange et Ulysse, rapportant leur trésor de guerre, sortent d’une valise un paquet de cartes postales qu’ils envoient bientôt valser l’une après l’autre : "Le Lapin de Dürer…, La Samaritaine…, Les Pyramides d’Égypte…, l’Arc de Triomphe… ". Se retrouve, comme dans le film, la mise en abîme de l’image dans l’image. L’exposition, le musée, est un poster géant où se précipitent les chefs-d’œuvre pour y finir lieux communs. La réalité de la Tour Eiffel n’est-elle pas dans cet arrangement de dizaines de cartes postales ? Celle du Mont Everest dans cette planche de manuel de géographie dont les photocopies recolorées proposent autant de variations ?

De l’archétype au stéréotype
Hans-Peter Feldmann passe ainsi de l’archétype au stéréotype, de génération en génération d’images, sans tomber pour autant dans le travers d’une dialectique teintée d’ironie ou de cynisme. Le caractère de "ses" images, s’il est souvent désuet, n’est jamais kitsch. Depuis Filliou peut-être, jamais un artiste n’avait sû bricoler une œuvre aussi drôle, aussi révélatrice des mondes qui finissent par constituer le nôtre. Rien que de très modeste dans ses propositions qui ne semblent jamais prétendre prendre du recul sur les choses, tout au plus faire un pas, de côté.

Hôtel Huger, 13 avril - 22 mai 1994, 12 rue Vernevelle, 72200 La Flèche. Le livre publié pour l’occasion,Voyeur (49,90 F), est une exposition à lui tout seul.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : L’art épinglé

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