Essen

"Paris, Belle époque" à la villa Hügel

Comment définir une période à travers les arts ?

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 710 mots

Une imposante exposition sur Paris au tournant du siècle clôt la série de biennales consacrées par la Kulturstiftung Ruhr aux capitales européennes.

ESSEN - Entreprise audacieuse en ces temps de post-hégélianisme où le concept de Zeitgeist n’est plus en faveur, l’exposition sur la Belle Époque s’essaie à définir une période à travers ses arts. Doublement hardie, puisque ses organisateurs, au-delà de l’imagerie traditionnelle du french can-can, du Sacré-Cœur, du Moulin Rouge, de Proust et de l’art de l’affiche, tentent une définition de l’avant-garde du vingtième siècle.

Jürgen Schultze, responsable de l’exposition "Paris, Belle Époque" à la villa Hügel de Essen, est très conscient de ces difficultés. Elles ont commencé avec la définition même de la période. Son équipe, où prédominent les collaborateurs français, et lui-même ont opté pour une époque comprise entre 1880 et 1914. Quant au rôle de l’avant-garde, il souligne que la séparation entre les artistes établis et les contestataires était alors beaucoup moins tranchée qu’on l’a suggéré par la suite : Degas achète une œuvre de Pierre Georges Janniot au Salon de 1894, Jean Béraud est un ami de Manet, et Jacques-Émile Blanche celui de Debussy et de Mallarmé.

L’Art décorant la société
La section des arts décoratifs, sous la houlette de Philippe Thiébaut, évoque les goûts de la noblesse et de la haute bourgeoisie, avec des fabriquants reconnus comme Baccarat, Sèvres, Chaumet et Christofle, au détriment de Daum, Carré, Gallé ou Fouquet ; il faut rappeler toutefois que les innovations de ces derniers étaient très vite reprises par les créateurs plus traditionnels.

"Il s’agissait d’un art qui décorait une société, dit Jürgen Schultze. L’exposition présente un aspect précis de l’époque, son art de vivre." Ainsi, par exemple, le portrait de Jacques-Émile Blanche, emprunté au Musée des beaux-arts de Nice, qui imite délibérément les portraits anglais du XIXe, résume toute l’anglophilie de la Belle Époque. Les impressionnistes, peut-être surfaits d’ailleurs, ne figurent pas dans l’exposition, mais Bonnard et Vuillard sont présents pour évoquer le culte de l’intimité domestique propre aux années 1890.

Tout art participait d’autres formes ; la théorie de la synesthésie était vécue, pratiquée. La musique, à laquelle est consacrée une importante section sous la direction de Jean Nectoux, tentait de rendre des images. En témoigne, entre autres, la scène de L’Or du Rhin peinte par Fantin-Latour. L’époque s’essaie également à de nouvelles formes d’art : l’affiche, "de jolies images pour la rue", selon les termes de Frieder Mellinghof, responsable de cette section, qui trouvera immédiatement sa place sur le marché de l’art ; ou la photographie, sous la responsabilité de Ute Eskildsen, qui se cherchait une identité.

La sculpture (responsable : Véronique Gautherin) connaît un véritable boom, puisque la France en couvre ses rues et ses façades ; il faut également mentionner des œuvres à plus petite échelle, comme les "sculptures" en métal ou en porcelaine pour la maison, ou encore les bijoux. Les vêtements somptueux, sur lesquels Proust s’arrête si souvent dans ses romans, sont prêtés par le Musée de la mode et du costume de Paris, et présentés par Catherine Join Diéterle, tandis qu’on doit la section sur la ville, son développement et sa population, à Brigitte de Montclos et Jean-Marc Léri, du Musée Carnavalet.

Le menu peuple se faufile dans l’exposition à la faveur de deux sections organisées par Mariel Obethür, qui évoquent le Montmartre d’alors, où artistes et intellectuels côtoyaient la faune des cabarets, des bars et des bals : rencontre qui nourrit l’art de Toulouse-Lautrec et de Steinlen. Steinlen compte parmi les innombrables artistes qui contribuèrent à la soudaine explosion des revues, au nombre desquelles Les Temps nouveaux, de tendance anarchiste.

Cette immense exposition, placée sous le patronage des présidents Weizsäcker et Mitterrand, bénéficiant de six cents prêts venus de toute la France, clôt le cycle de biennales sur les capitales européennes organisé par la Kulturstiftung Ruhr. Ce cycle avait commencé en 1986 avec "Le Baroque à Dresde", suivi de "Prague vers 1600", de "Saint-Pétersbourg vers 1800" et de "Londres de 1800 à 1840 : puissance et splendeur d’une ville mondiale", en 1992. La fondation, financée par l’industrie sidérurgique Krupp, sponsorisera l’année prochaine une grande exposition venue de Chine.

"Paris, Belle Époque", 11 juin-13 novembre. Catalogue publié par Verlag Aurel Bongers ; 50 DM sur place, 75 DM en librairie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : "Paris, Belle époque" à la villa Hügel

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