Les arts visuels chassés des télévisions

Un mariage impossible

En France, le service public vient de supprimer la dernière émission régulière. La situation n’est guère plus brillante chez nos voisins.

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 881 mots

FRANCE - Depuis la naissance de la télévision française, il y a plus d’un demi-siècle, toutes les tentatives de produire des émissions consacrées aux arts plastiques ont lamentablement échoué. Aujourd’hui, les programmes brillent plus que jamais par leur absence d’émissions régulières dans ce domaine. Les chaînes publiques ne font pas exception à la règle puisque France 3 vient de mettre fin à sa dernière série.

PARIS - Plus généralement, les arts sont réduits à la portion congrue de quelques secondes dans un journal à 20 heures, et si possible dans le dernier, tard dans la nuit. Et encore ne s’agit-il que d’expositions drainant les foules ou de quelques fantaisies d’artistes relevant plus de l’exploit que de la recherche artistique. La vie des arts, des galeries, des musées est complètement passée sous silence. Paradoxalement, la radio accorde plus de place aux arts, alors qu’elle ne peut s’aider d’images.

Pourtant les initiatives ont été nombreuses et parfois réussies. À l’époque où la télévision ne se prenait pas forcément pour la distraction obligée du travailleur exténué, existaient sur les chaînes publiques des émissions comme celles de Max-Pol Fouchet ou de Michel Lancelot. Celui-ci avait eu la bonne idée de ne pas faire venir un peintre sur le plateau, mais de lui rendre visite pendant une heure dans son atelier ; ce fut le cas pour Bacon, Delvaux, par exemple. Ces émissions, sagement rangées sur les rayonnages de l’INA, feraient certainement le bonheur de certaines chaînes en mal de programmes. Sont venues plus tard les remarquables "Océaniques", créées en 1987 sur FR3, puis les premières émissions d’Alain Jaubert, et enfin, tout récemment, "Atelier 256" de Jacques Chancel, dont le contrat de quatorze émissions a été rempli – avec une qualité très inégale – mais non renouvelé.

D’où vient alors cette incompatibilité doublée d’ambiguïté entre le média de l’image à la portée de tous et l’art qui est image et forme, statique il est vrai ?

L’audience
Pour Bernard Rapp, s’il y a incompatibilité, c’est que ce "gros tube, ce gros téléphone à image" dans lequel on met ce qu’on veut "est un média de masse, d’où son conformisme". Ce journaliste cultivé, que les échecs ne découragent pas, reprend une nouvelle fois son ouvrage et tente, avec son "Rapp tout" du dimanche, de saupoudrer d’un minimum de culture la vision du téléspectateur français. Il a proposé, en lieu et place de son émission le 22 mai dernier, un film, par trop didactique il est vrai, de Jean-Paul Fargier sur les origines de l’Impressionnisme, en liaison avec l’exposition du Grand Palais.

Le problème numéro 1 des émissions artistiques est celui de l’audience (lire les déclarations d’Alain Jaubert à ce sujet, JdA n°2). Même Arte, qui semble moins soumise à la tyrannie de l’Audimat, ne s’est pas risquée à produire une émission régulière d’information sur les arts et la vie artistique. La chaîne culturelle européenne se contente – mais qu’elle en soit remerciée – de diffuser irrégulièrement mais avec constance les différentes "Palettes" d’Alain Jaubert. Les seules possibilités actuelles paraissent être en effet la diffusion de ce style d’émissions consacrées à l’étude fouillée d’un tableau, d’une œuvre d’art particulière, ou encore de l’œuvre d’un peintre. Mais elles tiennent plus de la pédagogie, de l’initiation de l’amateur.

"L’art est élitiste, qu’on le veuille ou non ; il passe au-dessus des têtes. L’art a toujours été conduit par des avant-gardistes, la télévision est un moyen de communication de masse", affirme Jacques Chancel, homme de télévision depuis plus de vingt-cinq ans, pour expliquer ce manque d’audience. Il voit l’avenir des émissions sur les arts chez "un public ciblé, sur des chaînes thématiques réunissant un million de téléspectateurs au maximum. Car ce public existe, souligne-t-il, mais il n’est jamais innocent. Il est coupable "in abstentia" au même titre que les producteurs et les dirigeants de chaînes". Il croit beaucoup à la future chaîne du Savoir et de la Connaissance, qui devrait selon lui pouvoir diffuser des émissions sur l’art. "Sur un million de visiteurs d’une exposition sur l’Impressionnisme, il est possible de retenir 400 000 d’entre eux pour une émission de télévision", conclut-il.

L’ambiguïté entre art et télévision a également des raisons purement techniques, qui trouvent leur origine dans le mouvement de l’image télévisuelle, ces lignes qui brouillent la vue. Les démonstrations de télévision à haute définition – dont l’avenir est tout à fait incertain – ont toutes été faites avec des films sur l’art. Mais actuellement la télévision reproduit mal une œuvre d’art, alors que le film de cinéma a réussi, au moins partiellement, à surmonter le problème. Ainsi Yosoji Kobayashi, président d’une chaîne de télévision japonaise et mécène de la restauration de la chapelle Sixtine, mène des recherches sur le blanc à la télévision, "couleur" que le tube cathodique le plus perfectionné ne peut reproduire.

La télévision est mouvement, l’art est statique. La seule échappatoire actuellement est dans les images que crée la télévision elle-même, montrant que cet instrument peut avoir son art à lui, celui des images virtuelles. Saluons ici les films de Jean-Christophe Averty ; mais souvent la distinction entre création artistique et prouesse technique est difficile à faire.

Enfin, dernière incompatibilité, la télévision est imposée le soir à l’heure du dîner, alors que l’art se veut rare et demande une recherche, un effort de la part de l’amateur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Un mariage impossible

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