Russie : l’art et le crime organisé

Un ami de Malevitch craint pour sa vie

Il se réfugie en Hollande

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 488 mots

Un important critique d’art Nikolaï Khardzjiev, âgé de quatre-vingt-dix ans prétend que Moscou est devenue une ville si dangereuse qu’il craint pour sa vie. Sa femme et lui viennent de se réfugier en Hollande, à l’invitation de l’Institut d’études slaves de l’université d’Amsterdam.

LONDRES - M. Khardzjiev est l’un des plus importants critiques d’art de Russie, en partie parce qu’il a fait partie de l’avant-garde, nouant d’étroites relations d’amitié avec Malevitch et Lissitsky, dont les œuvres valent aujourd’hui des centaines de milliers de dollars en Occident et même en Russie. Le problème est qu’on l’accuse d’être coupable d’importantes opérations de vente illicites. Fin avril, les Izvestia ont publié une série d’articles affirmant que Nikolaï Khardzjiev avait exporté frauduleusement cinquante œuvres de sa collection personnelle en Occident. On l’accuse aussi d’avoir essayé de faire sortir des archives personnelles : trois valises bourrées de manuscrits littéraires, poèmes, lettres et autres documents relatifs à l’avant-garde soviétique, à propos de laquelle il a fait de très nombreuses publications. Les douanes de l’aéroport de Cheremetievo, à Moscou, ont saisi ses valises.

On y a trouvé, entre autres, deux documents attestant la vente de six œuvres de Malevitch à Christina Bscher, l’actuelle propriétaire de la prestigieuse galerie Gmourszynska de Cologne, qui a fait fortune en constituant la collection du milliardaire du chocolat, Peter Ludwig, à Aix-la-Chapelle. L’un des documents indique apparemment que Christina Bscher remettra un chèque de 2,5 millions de dollars (soit quinze millions de francs environ) à M. Khardzjiev ; l’autre contient un contrat, aux termes duquel M. Khardzjiev s’engage à remettre à Mme Bscher six œuvres de "Kaz.[imir] M.[alévitch]" en dépôt permanent.

La directrice des Archives d’État de Russie, Natalia Volkova, a authentifié le contenu des valises et déclare : "À ma connaissance les six œuvres de Malevitch ne sont plus en Russie". Elle ignore où ces œuvres peuvent se trouver et personne ne peut le savoir : M. Khardzjiev a toujours été très discret, voire misanthrope. Il est devenu plus méfiant encore avec l’âge.

The Art Newspaper a interrogé l’une des rares personnes à bien le connaître, le critique et collectionneur Viktor Kholodkov, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Selon lui, M. Khardzjiev exposait dans son appartement de Moscou un grand nombre d’œuvres avant-gardistes mineures, d’intérêt essentiellement personnel. Il est possible qu’il ait gardé les meilleures pièces cachées - et le Carré rouge pourrait être parmi elles. Interrogé sur la réalité des dangers que courait M. Khardzjiev, M. Kholodkov a déclaré que sa réputation pouvait effectivement faire de lui une victime potentielle du crime organisé.

M. Kholodkov a ajouté qu’il était regrettable que les Douanes aient intercepté ces archives, qui devraient finir dans les Archives d’État, mais risquaient fort d’être vendues sous le manteau par les fonctionnaires de ce même service.

M. Rakitine, expert bien connu de l’avant-garde soviétique installé aujourd’hui à Cologne et conseiller de la galerie Gmourszinska, a nié avoir jamais vu la collection ou avoir rencontré M. Khardzjiev récemment.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Un ami de Malevitch craint pour sa vie

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