Marseille

Poupées rituelles des Indiens d’Amérique

Les Kachina posent le problème de la culture indienne aux États-Unis

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 603 mots

Créé il y a deux ans, le Musée des arts africains, océaniens et amérindiens, MAAO, de Marseille montre pour sa troisième exposition une sélection de cent soixante poupées Kachina des Indiens Hopi et Zuni du sud des États-Unis.

MARSEILLE - Présentées "en familles et en cérémonies", dans la chapelle de la Vieille Charité, les cent soixante poupées rituelles proviennent de musées européens (Berlin, Oslo, Oxford, Munich...), américains (Santa Fe, Albuquerque) et de la collection privé Horst Antes. Sculptées dans le bois, les Kachina sont produites depuis plus d’un siècle sur le même modèle. Les statuettes, au corps cylindrique et aux membres courts, sont peintes souvent de couleurs vives, et ornées de plumes ou d’autres éléments. Pour les plus "modernes", les Indiens utilisent des peintures acryliques et des accessoires nouveaux.

Cet univers très coloré, poétique, a fasciné les artistes dada et surréalistes. André Breton collectionnait des statues Hopi, Max Ernst se faisait photographier avec ses poupées Zuni en 1942. Même Marcel Duchamp exposait une Kachina avec son ready-made porte-bouteilles.

Le fertilité des sols
Les poupées interviennent dans le culte Kachina à différents moments de cérémonies qui ont pour but d’assurer la fertilité des sols et les bonnes récoltes. Car, pour les Indiens Hopi et Zuni du groupe Pueblo qui vivent dans des zones arides (Désert d’Arizona et Nouveau-Mexique), la préoccupation première reste la pluie. Au cours des festivités, les danseurs masqués distribuent les poupées comme présents aux enfants. Elles sont suspendues ensuite dans les maisons.

Comme le remarque Marie-Élisabeth Laniel-Le François, coauteur du catalogue et d’un livre sur les Hopi (1), les Kachina "ne sont ni (des) idoles, ni vraiment (des) jouets", mais ont un rôle pédagogique, puisqu’elles sont la "copie conforme" des danseurs masqués qui représentent les esprits Kachina.
Masques, costumes et couleurs reproduits sur les statuettes suivent ainsi un code très précis. Chaque poupée porte un nom différent (Kachina cactus, soleil, guêpe...) et selon la classification de Barton Wright, anthropologue américain, le panthéon Hopi compte plus de quatre cents kachina.

Des faux, des copies
Le grand nombre de poupées est dû non seulement aux exigences de la mythologie Hopi ou Zuni, mais aussi aux impératifs du marché. Dès la fin du XIXe siècle, les Indiens les vendent puis les sculptent sur commande à partir des années vingt. S’organise alors une véritable production pour les amateurs, collectionneurs et plus récemment les touristes. Des faux, des copies kitsch (certains parlent de "barbies") circulent, et on s’interroge alors sur l’authenticité des pièces : ont-elles participé aux rituels ? Au centre de cet éternel débat entre art populaire et art contemporain existe pourtant l’artiste, sculpteur reconnu qui signe ses œuvres, ajoute des socles, et coule parfois des kachina en bronze...

Certains Indiens considèrent les Kachina comme sacrées. Ainsi, seulement une dizaine de poupées Zuni ont pu être exposées et "la plupart des musées américains ont refusé des prêts, craignant que leurs Kachina soient revendiquées par les Hopi dans le cadre du rapatriement de certains objets sacrés dans les réserves indiennes" affirment les commissaires d’exposition (Marie Aubert, Alain Nicolas et Soizic Voinchet-Zuili). Un problème qui touche en fait l’ensemble du patrimoine culturel indien aux États-Unis. Un Musée national des Indiens d’Amérique est pourtant en projet à Washington, "musée vivant (...) pensé dans sa totalité par les Indiens de toutes générations" déclare le sénateur cheyenne Ben Nighthorse Campbell.

"Kachina, poupées rituelles des Indiens Hopi et Zuni", Chapelle du Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille, 30 juin-30 septembre, catalogue RMN/Musées de Marseille, 240 p, environ 250 F.

(1) M-E Laniel-Le François, J. Pierre et J. Camacho, Kachina Hopi, Édition Amez, 1992, 460 p., 980 F

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Poupées rituelles des Indiens d’Amérique

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