Dijon

Pompon et la sculpture moderne

\"Le retour du lisse\"

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 712 mots

À l’occasion de la publication du catalogue raisonné de l’œuvre de François Pompon, le Musée des beaux-arts de Dijon et le Musée d’Orsay s’associent le temps d’une exposition. Ils présentent de manière différente – Orsay optera pour un parti monographique – le travail d’un artiste dont le nom évoque la forme courbe et l’art animalier. En réalité, son apport constitue une étape importante dans l’évolution de la sculpture à la jonction de deux siècles, entre l’art de Rodin et l’avant-garde de Brancusi. À Dijon, à travers le choix d’une centaine de pièces du Bourguignon, puis la confrontation avec celles des \"sculpteurs du lisse\" de la génération suivante, le Musée des beaux-arts montre, avec clarté et efficacité, le cheminement de l’art vers la modernité.

DIJON - Né en 1855 à Saulieu, Pompon hérita des principes esthétiques et académiques du XIXe siècle. Arrivé à Paris dès 1875, il y subit l’influence de son professeur, Pierre Rouillard, puis de Rodin, dont il devint chef d’atelier. Ses premières œuvres furent essentiellement des figures humaines, surtout des portraits de familiers, mais aussi des sujets d’inspiration religieuse ou littéraire tels la Sainte Catherine martyre (1886) et une Cosette (1888), présentées au Salon.

Nature...
À partir de 1905, il abandonna la figure humaine pour se consacrer à l’étude du monde animal. Autour du grand Ours blanc, qui trône au centre de la deuxième salle de l’exposition, se déclinent toutes les illustrations d’un bestiaire élégant, lisse et silencieux. Celles-ci sont les reflets d’une inspiration éclectique et variée, influence de l’art celte par exemple dans le petit Sanglier, ou encore de l’art égyptien – sensible dans un Canard en bas-relief –, du japonisme dans une Perruche, de l’art populaire pour le Coq de girouette. Des animaux exotiques, comme l’Orang-outan, témoignent de sa fréquentation assidue du Jardin des Plantes. De la forme, Pompon occulte le détail et l’anecdote, ne retenant que le volume épuré, le mouvement fondamental, l’essence même de chaque sujet ; il rompt par là avec l’esthétique naturaliste traditionnelle. Il conjugue ainsi autour d’un même thème – lapins, tourterelles ou panthères – une suite de variations inattendues, souvent pleines d’humour et de sensibilité. Les pièces monumentales, le Grand taureau, le Pélican, de même que son ultime composition, le Faisan doré, renforcent encore ce sentiment de poétique simplicité, reflet "d’une conscience intense de la nature".

... et abstraction
Suivent dans l’exposition les œuvres des générations postérieures, qui procèdent souvent d’une démarche identique à celle de Pompon : hommage de la courbe et du dénuement, masses sereines et sans aspérités, retour à l’archaïsme de civilisations anciennes. Le monde animal devient une source de prédilection, propre à exprimer une vision synthétique et harmonieuse. Ainsi, chez Brancusi ou Zadkine (Oiseau d’or), retrouve-t-on ces lignes pleines et rondes, aux contours marqués. Ce parallèle avance loin dans le temps, évoquant la progression vers l’abstraction de Jean Arp (Songe de hibou), de Hajdu (Combat) ou de Henry Moore (Animal form).
Un mot encore sur la publication qui accompagne cette manifestation, puisqu’exceptionnellement il n’existe pas ici de catalogue. C’est un ouvrage monographique, à usage scientifique bien sûr, mais cependant abordable pour le profane, et remarquable par l’abondance et la qualité de ses illustrations.

Dessins
Simultanément, le Musée Magnin présente une exposition consacrée aux dessins de sculpteurs des années 1850 à 1950, où l’on progresse avec plaisir de Barye à Giacometti, de Carpeaux à Picasso, de Rodin à Degas. Petite, mais remarquable par la qualité des feuilles sélectionnées (études de volumes et de lumière, elles ont souvent en commun ce trait de liberté et de spontanéité qui fait leur séduction), elle offre un complément judicieux et savoureux à la manifestation du Musée des beaux-arts.

"Pompon et la sculpture moderne : nature et abstraction", Dijon, Musée des beaux-arts, 28 mai-26 septembre 1994 ; commissaire : Emmanuel Starcky.

"Rétrospective François Pompon (1855-1933)", Paris, Musée d’Orsay, 17 octobre 1994 - 23 janvier 1995 ; commissaire : Catherine Chevillot ; Roubaix, Musée d’art et d’industrie, printemps 1995 ; Rodez, Musée Denys Puech, juin-septembre 1995.

Pompon, 1855-1933, ouvrage collectif de C. Chevillot, L. Colas, A. Pingeot et L. de Margerie, coédition Gallimard/Electa et Réunion des musées nationaux, 248 p., 490 F.

"Dessins de sculpteurs 1850-1950", Dijon, Musée Magnin, 27 mai-11 septembre 1994 ; commissaire : Emmanuel Starcky ; catalogue Réunion des musées nationaux, 92 p., 120 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Pompon et la sculpture moderne

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque