Art contemporain

La Foire de Bâle joue les valeurs sûres

Un bel anniversaire plutôt qu’un millésime

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 840 mots

Deux-cent cinquante-trois exposants, venus du monde entier, ont participé, du 15 au 20 juin, à la XXVe Foire de Bâle. L’\"Art\" demeure donc le plus grand rendez-vous pour les amateurs d’art contemporain, mais il ne peut évidemment pas remédier à la crise qui sévit chez les créateurs ou chez les marchands. Célébré à grand renfort de publicité et de fêtes pour marquer un quart de siècle, il ne restera cependant pas comme son plus grand millésime.

BÂLE - La foire de Bâle garde indéniablement sa réputation de meilleure du monde. Elle reste le grand baromètre, avec les ventes de New York, du marché de l’art contemporain. Grands acheteurs privés et professionnels ont été fidèles une nouvelle fois au rendez-vous, d’autant plus que la foire – baptisée simplement l’"Art" – fêtait ses vingt-cinq ans.

En dépit de cet anniversaire, jamais la crise du marché de l’art et de la création contemporaine n’a été aussi évidente. Les grandes galeries classiques, occupant le rez-de-chaussée, présentaient des pièces moins importantes et plus commerciales, à l’exception de Gmurzynska.

Le temps où chaque galeriste offrait au visiteur un véritable musée est fini. Certaines tendances comme l’Arte Povera ont quasiment disparu. Les galeries préfèrent présenter uniquement des valeurs sûres, évitant toute originalité financièrement aventureuse. En contrepartie, les tableaux, dans leur immense majorité, sont peu connus sur le marché. Autrefois, on reconnaissait, sur presque tous les stands, des toiles ayant figuré sur les catalogues des maisons de ventes aux enchères quelques mois auparavant. Les formats des tableaux se sont aussi réduits de manière drastique, le format carte postale dominait largement. Adieu les gigantesques compositions d’au moins cinq mètres de long pour musées aux parois kilométriques et pour collectionneurs mégalomanes.

Au premier étage, attribué aux galeries plus orientées vers des tendances nettement plus contemporaines, le joli et le décoratif ont malheureusement triomphé, avec des fleurs couleur pastel, des paysages si ravissants qu’ils semblaient être commandés par un décorateur pour s’harmoniser avec les rideaux du salon… Le visiteur recherchait désespérément un Beuys ou un Kounellis. Enfin, la foire a toujours eu une réputation de bon ton, où le sexe restait discret. Cette fois-ci, au diable l’avarice, une profusion de sexes masculins, représentés à tous les stades de l’effort, en néon, en bronze, ou à travers la plus tranquille aquarelle, envahissait la foire avec une belle santé.

Néanmoins, le parcours des galeries permettait encore de belles découvertes. Le plus beau stand revient sans conteste à la galerie Gmurzynska, qui présentait une somptueuse fresque de Picasso de 1918, Les Baigneuses, faite pour une chambre à coucher de Biarritz. Elle fait partie d’une série de cinq, qui est aussi propriété de la galerie. Un Delaunay, une grande huile de 1926, Les Coureurs, était offert à 1 200 000 dollars. Chez Marlborough, de nouveau présent après des années d’absence, une gigantesque statue de Moore, de la série Knife Edge de 1961, était à 2 millions de dollars. Son voisin, Waddington, vendait à 1 500 000 dollars un Matisse, Jeune fille à la robe rose, ayant appartenu à Giacometti.

Pace Wildenstein proposait un beau Dubuffet de 1955, Théâtre de chairs, pour 550 000 dollars. Marc Blondeau demandait 425 000 dollars pour une topographie de 1958 du même artiste. Ces exemples prouvent que, comme l’année dernière, les prix ont été raisonnables, dans la lignée de ceux obtenus aux ventes aux enchères. En revanche, pour la galerie new-yorkaise C&M Arts, qui d’ailleurs présentait de superbes tableaux, les prix n’ont subi aucune baisse. Comme au bon vieux temps d’avant la crise, celle  qui était présente pour la première fois à Bâle, proposait un Twombly à 2 millions de dollars sans sourciller.

Certaines galeries présentaient le chef-d’œuvre ou l’un des meilleurs tableaux d’un peintre et, dans ce cas, les cotes montaient vertigineusement, comme dans les ventes aux enchères. Chez Gray, un extraordinaire Dubuffet, Gambadeuse d’asphalte de 1945, était estimé 1 500 000 dollars. Chez Krugier, l’œuvre la plus importante de Varlin, une vue de son atelier où sont représentés la plupart de ses tableaux importants, était à 560 000 francs suisses, prix que l’on peut considérer comme sportif, mais il s’agit du tableau le plus important de l’artiste. En revanche, il est plus hasardeux de défendre les 675 000 francs suisses que demandait Thorens pour Le Cirque, femme à cheval de Le Corbusier.

Beyeler, dans la même optique, demandait plus de 5 millions de dollars pour un torse de femme de 1929 de Fernand Léger ; œuvre splendide, prix en conséquence. Toujours chez le même exposant, un très beau portrait de femme au corsage rouge de Picasso daté de 1940 était à 2 500 000 dollars.

Certaines œuvres d’artistes contemporains étaient remarquables, Hans Mayer présentait, comme chaque année, un magnifique travail de Paik, Verticle Gardens, une sculpture électrique de plus de quatre mètres de hauteur, au prix de 200 000 dollars. Chez Franck, Erika, une sculpture de 1992 de Rebecca Horn était à 65 000 dollars. Parmi les nouveaux artistes, chez Littmann un grand escalier en pierre, bois et acier, de l’artiste israélien Averbuch, était à 32 000 dollars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : La Foire de Bâle joue les valeurs sûres

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