Entretien

Lawrence R. Luhring, Luhring Augustine Gallery

Nous prenons des artistes en qui nous croyons.

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2010 - 742 mots

La galerie fondée avec votre associé Roland Augustine fête cette année ses 25 ans. Quelle est votre identité ?
Nous nous considérons comme une « boutique gallery ». Nous n’avons pas d’employés spécialement dévolus à la vente, contrairement à beaucoup de galeries. On aime bien avoir nous-mêmes la main. C’est peut-être démodé, mais ce fonctionnement nous convient. Nous voulons nous occuper bien de nos clients. Nous n’avons pas non plus quarante artistes dans notre liste. Nous avons eu l’opportunité de prendre des créateurs très lucratifs, mais nous ne l’avons pas fait. Nous prenons des artistes en qui nous croyons, et par chance, ils se vendent bien. Par exemple, le chemin avec Rainer Mucha ne fut pas facile. Ce n’est que douze ans après avoir montrée une installation au Musée Reina-Sofía [Madrid] que nous l’avons vendue. Lorsque nous avons commencé avec George Condo voilà sept ans [l’artiste a depuis quitté la galerie], ses tableaux se vendaient pour 10 000 dollars en ventes publiques.

Ne pensez-vous pas vous agrandir, à l’instar de vos confrères Zwirner, Gladstone ou Gagosian ?
Nous sommes en discussion concernant un bâtiment à Brooklyn, pour le transformer en un lieu où les œuvres pourraient être installées pour six mois. Nous avons eu en 1989 une galerie avec Max Hetzler à Los Angeles, mais nous l’avons fermée au moment de la crise. Ni Roland ni moi ne voulions partir vivre à Los Angeles, et c’était difficile sans la présence constante de l’un d’entre nous. On a aussi eu un espace uptown à New York avec Skarstedt. Nous ne sommes pas fermés. On verra.

Vous avez organisé quelques expositions mémorables de second marché comme Duchamp avec le marchand Timothy Baum, ou encore Gerhard Richter. Pourquoi n’en faites-vous plus autant ?
C’est difficile d’intégrer dans notre agenda ce type d’expositions, qui exigent beaucoup de temps et de recherches. Mais cela nous semble intéressant de porter un regard sur des œuvres historiques à Chelsea. Les artistes de la galerie aiment ce type d’expositions qui les positionnent dans un contexte historique.

Comment expliquez-vous qu’en pleine crise mondiale deux œuvres aient dépassé en ventes publiques au cours de ces quatre derniers mois les 100 millions de dollars ?
Ce qui se produit dans le marché de l’art s’explique de la même façon que l’augmentation actuelle du prix de l’or. Les gens ont peur de la volatilité, ils ne sont pas à l’aise avec le cash, qu’il s’agisse d’euros ou de dollars. L’art semble plus sûr. Certains collectionneurs ont vendu des œuvres pour redresser leurs entreprises, et ils se sont rendu compte que l’art était un actif plus solide.

Les records ont-ils une incidence sur les prix pratiqués dans votre galerie, notamment celui de 5 millions de dollars (plus de 4 millions d’euros) pour une pièce de Christopher Wool chez Christie’s le 11 mai ?
À la suite de ce prix, un collectionneur nous a contactés pour revendre une toile. Ces records font sortir des œuvres et suscitent la spéculation. Ce prix a d’ailleurs précipité le lendemain du record l’adjudication ahurissante de 782 500 dollars pour une autre pièce, qui était bien mais pas aussi importante que la précédente. Tout ceci ne change pas nos tarifs en galerie. Un record peut juste résulter du combat de deux enchérisseurs têtus. Il est intéressant de voir combien il restait d’enchérisseurs à partir d’un certain palier. Si une pièce similaire venait sur le marché, obtiendrait-elle le même prix ? Nous préférons rester vigilants. Christopher Wool essaye d’ignorer le marché autant que possible. Il sait que, à partir d’un certain niveau, la pression de faire des œuvres « signatures », identifiables, est grande. Or il ne veut pas faire du Christopher Wool, mais expérimenter.

Vous avez participé ces trois dernières années à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). La chute de l’euro vous inquiète-t-elle ? Les collectionneurs européens seront-ils encore actifs ?
Lorsque nous avons recommencé à faire la FIAC, nous nous sommes rendu compte que la France ressemblait quelque part à l’Italie. Il y a énormément de collectionneurs sérieux qui ne courent pas toutes les foires et qui ne cherchent pas la publicité. La chute de l’euro est bien sûr inquiétante. L’an dernier, la baisse du dollar avait provoqué pas mal d’achats d’œuvres d’artistes américains par les Européens. Mais nous représentons aussi des artistes européens, et l’euro fort avait rendu ces pièces-là chères pour nos clients américains. Quand vous perdez quelque part, vous gagnez ailleurs.

Luhring Augustine Gallery, 531 West 24th Street, New York, www.luhringaugustine.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Lawrence R. Luhring, Luhring Augustine Gallery

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