Galeries

Mariage de raison

Comment des artistes choisissent deux galeries dans la même ville.

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2010 - 773 mots

PARIS, BERLIN, NEW YORK - Le repli des galeries de Cologne vers Berlin n’a pas seulement déplacé le centre de gravité artistique allemand. Cette centralisation a parfois une autre conséquence : la représentation de certains artistes par deux galeries d’une même ville.

Ainsi, Matti Braun siège à la fois chez Esther Schipper et Büro BQ. De même, Cosima von Bonin se trouve simultanément chez Neu et Daniel Buchholz. Cette double représentation ne résulte pas systématiquement de déménagements. Elle se révèle parfois volontaire. Il est ainsi fréquent qu’à New York un artiste se partage entre deux galeries.

Ce fut le cas de Jeff Koons, présent à la fois chez Ileana Sonnabend et chez Larry Gagosian. À une époque où les créateurs ont tendance à quitter leur galerie incubatrice pour une enseigne plus établie, faut-il accepter des collaborations pour éviter le mercato ? Peut-être. Banks Violette possède ainsi une galerie mère, Team. Mais il a réalisé en mars une exposition chez Barbara Gladstone. Sans le représenter, cette dernière dispose de pièces du jeune artiste, qu’elle peut négocier sur le second marché. En optant pour ce dispositif, Banks Violette a le beurre et l’argent du beurre. Il ne perd pas l’échange intellectuel que peut lui offrir José Freire, fondateur de Team, tout en jouissant des espaces et des réseaux de collectionneurs de Gladstone.

Toujours à New York, le Français Loris Gréaud a choisi d’être représenté à la fois par Yvon Lambert et par The Pace, qui organiseront ensemble deux expositions monographiques en février 2011. « Nous travaillons tous ensemble en totale transparence et dans une spirale positive, indique l’artiste. Mon studio est au centre et administre le travail. L’évolution et la direction des projets se fait main dans la main avec les deux galeries. »

Des différences objectives
Les marchands français restent eux réfractaires à l’idée d’une double voire triple représentation. Mais ils seront sans doute obligés de suivre le mouvement qu’ont déjà impulsé Ben ou François Morellet. Ce dernier est à la fois chez Kamel Mennour, une galerie intéressante en termes d’image et de résonance internationale, chez Aline Vidal, très active commercialement, et encore chez Martine et Thibault de la Châtre. « François fait attention à ce que chacune des galeries n’ait pas les mêmes pièces, précise Aline Vidal. L’idéal serait toutefois qu’on travaille avec Kamel de façon plus rapprochée. » Les deux enseignes organiseront simultanément une exposition en mars 2011, à l’occasion de l’exposition de Morellet au Centre Pompidou. Cette situation montre bien que chaque marchand possède son monde, son réseau et son territoire. De son côté, le collectif Claire Fontaine siège depuis 2007 chez les Parisiennes Chantal Crousel et Air de Paris.

« Les deux galeries sont très efficaces dans la production et l’organisation de notre travail au jour le jour ; elles se coordonnent sans aucune difficulté et, certainement, elles ne sont pas en concurrence. Il y a des différences objectives entre elles, et c’est cela qui fait la force de ce travail à plusieurs », assurent Fulvia Carnevale et James Thornhill. Le fonctionnement est assez clair. Le produit des ventes réalisées auprès des institutions françaises est réparti entre les deux enseignes. Celles-ci en revanche ne partagent pas ce qui est cédé dans leurs galeries ou sur les foires.

Affinités électives
Nouvellement installé à Paris, le Belge Guy Pieters a dans son escarcelle des artistes déjà représentés à Paris, comme Jan Fabre, montré par Daniel Templon, ou Jacques Villeglé, à l’affiche chez Georges-Philippe & Nathalie Vallois. Ici encore il y a partage : Pieters s’occupe de la production postérieure à 1995 tandis que les Vallois gèrent le travail plus historique.

Cette tendance semble indiquer que, une fois n’est pas coutume, le désir de l’artiste prévaut sur les intérêts de la galerie. « Il faut partir du travail, des enjeux et des directions que l’artiste emprunte, insiste Loris Gréaud. S’il développe des procédures qui nécessitent que deux, trois ou quatre galeries entrent en dialogue dans la même ville, pourquoi pas ? » Il est toutefois nécessaire de veiller à ce qu’il n’y ait pas au final de dindon de la farce. Car la double représentation peut brouiller les pistes. « La faille possible, c’est que des collectionneurs aillent voir un marchand pour avoir un prix, puis l’autre pour négocier ce prix à la baisse », s’inquiète un galeriste.

Les galeries qui ont exceptionnellement accepté la double représentation n’imaginent d’ailleurs pas l’ériger en système. « C’est une chose née du désir de l’artiste plus que de l’intention de la galerie, confie Chantal Crousel. Ce ne serait pas aussi facile avec d’autres artistes ni d’autres galeries. » À deux, trois ou quatre, tout reste question d’affinités électives.

Légende photo

François Morellet : vue de l'exposition à ArtParis au Grand Palais en avril 2008 - photographe : Galerie Oniris - Licence Creative Common 3.0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Mariage de raison

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