Bibliophilie

Aux armes et cætera

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2010 - 758 mots

Après des années de tractations avec les musées, les fers historiques de l’atelier Simier seront mis à l’encan. Une vente qui soulève beaucoup de questions.

PARIS - Le 2 juin à Drouot-Montaigne, à Paris, la SVV Lafon-Castandet organisera une vente aux enchères exceptionnelle consacrée aux relieurs des derniers rois de France. Seront dispersées environ 500 plaques décoratives à dorer, des fers aux armes royales, impériales et de la noblesse, ainsi que de nombreux monogrammes de l’atelier Simier, datant du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Il s’agit d’une première sur le marché de la bibliophilie. L’un des clous de la vente est un fer de majesté aux armes de Louis XV. D’après l’expert Roch de Coligny, c’est « certainement le motif le plus célèbre de toute l’histoire du livre ».

Il est estimé 15 000 euros, mais, en l’absence de référence sur ce type d’objet, les enchères pourraient monter jusqu’à 100 000 euros. Parmi les autres lots phares, notons une série de fers aux armes et au chiffre de la duchesse de Berry qui furent estampillés sur les 8 000 livres de sa bibliothèque, ainsi que des fers aux armes de Marie-Antoinette ou de Napoléon Ier… L’estimation globale atteint modestement 200 000 euros, cependant que les espérances tournent autour du million d’euros.

Cette vente soulève deux questions. Pourquoi ce patrimoine historique se retrouve-t-il sur le marché au lieu de rejoindre une institution ? Ne court-on pas le risque, en lâchant de si précieuses matrices dans la nature, de voir des livres anciens affublés de frappes postérieures ?
En 1986, la collection de l’atelier Simier a été présentée au Musée Gutenberg de Berne (aujourd’hui sis à Fribourg, toujours en Suisse), institution mondiale consacrée à l’imprimerie. À cette époque, Jean-François Barbance, dernier successeur en 1954 du maître relieur Simier, avait formé le vœu que le fonds de l’atelier soit repris par une institution française.

À cet effet, les héritiers ont relancé pendant une quinzaine d’années des musées français, se heurtant à « l’inertie administrative ou politique ». De guerre lasse, ils finissent par céder l’ensemble aux enchères. À présent, les institutions se mobilisent pour se porter acquéreur de plusieurs lots, ainsi de la Bibliothèque nationale, des Archives nationales, du Musée de l’imprimerie de Lyon, de la bibliothèque de Lunel (Sarthe) – qui possède 287 reliures de Simier –, ou encore du musée parisien des arts et métiers, intéressé par les presses.

Profondeur de la frappe
Le risque de contrefaçon de reliures par des acheteurs indélicats serait « minime », estime Roch de Coligny. « Les contrefacteurs n’auront pas attendu cette vente pour forcer un livre. À partir d’une frappe sur une reliure, un graveur vous refait un fer pour 150 euros », indique-t-il. « Mais le marché du faux ne trompe les professionnels », assure-t-il. Les fausses armes, emblèmes, dentelles et autres décors en bibliophilie sont détectables à la profondeur de la frappe et à la qualité de la dorure. « L’or utilisé n’aura pas la même teinte que le reste de la reliure (filets, ornements du dos…) », confirme Dominique Courvoisier de la librairie Giraud-Badin, à Paris.

Néanmoins, pour avoir bonne conscience, le commissaire-priseur et son expert ont publié un avertissement en préambule au catalogue : « Les enchérisseurs et les adjudicataires sont informés que les fers à dorer proposés à la vente sont des objets historiques, dont certains se rattachent à des États, à des personnes illustres, à des familles ou à des institutions. L’usage de ces fers est par conséquent soumis au respect de la propriété artistique et à celui de la propriété morale des armoiries ou des emblèmes (souverains ou privés).

En outre, il ne doit pas en être fait un usage frauduleux, destiné à tromper, par exemple en frappant un fer aux armes sur un livre ancien mis ensuite dans le commerce. Un tel usage serait susceptible de constituer un délit de faux et de contrefaçon réprimé par les lois, et exposerait donc à des poursuites devant les juridictions civiles ou pénales les personnes qui auraient fait apposer ce fer ou qui auraient pris part à la commercialisation des livres ainsi contrefaits. Tout adjudicataire sera tenu de signer un exemplaire du bordereau acheteur reproduisant cette mention avant la délivrance de son lot. L’adjudicataire sera également tenu d’informer ses éventuels ayants droit ou sous-acquéreurs de cette restriction imposée à l’usage des fers. » Voilà qui est dit.

LES RELIEURS DES ROIS DE FRANCE. L’ATELIER SIMIER, vente le 2 juin à Drouot-Mon- taigne, 15, avenue Montaigne, 75008 Paris, SVV Lafon-Cas-tandet, tél. 01 40 15 99 55, www.lafon-castandet.com

L’ATELIER SIMIER

Expert : Roch de Coligny
Estimation : 200 000 euros
Nombre de lots : 348

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Aux armes et cætera

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