Du projet à l’objet

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 861 mots

La Pinakothek der Moderne à Munich met en lumière le processus d’élaboration
de quelques-unes des icônes de l’éditeur Alessi.

Lorsqu’une entre-prise exhibe ses atours dans un musée, les mauvais esprits songent aussitôt à une opération de communication. Tout n’est qu’une question de contenu. Ici, la firme italienne Alessi dévoile une partie de ses entrailles dans une exposition intitulée « Oggetti e Progetti » [« Objets et projets »] et présentée à Munich,  en Allemagne, à la Neue Sammlung-The International Design Museum (Pinakothek der Moderne). Il suffit de lire la myriade de noms de créateurs qui ont participé à l’aventure de cette société fondée en 1921 à Omegna, sur une rive du lac Orta (Piémont, Italie), pour comprendre son impact sur le design transalpin, voire contemporain. Le visiteur pourra d’ailleurs s’attarder devant la multitude d’écrans qui diffusent, en boucle, des entretiens avec les plus grands « maestri » – Mari, Branzi, Castiglioni, Sottsass, Starck…

7 500 pièces par jour
La scénographie, signée par l’architecte et designer italien Alessandro Mendini, également directeur artistique d’Alessi depuis une trentaine d’années, se découpe en trois temps : « Passé », « Présent », « Futur ».

Déployée sur une série de beaux socles en bois, la partie historique de l’« Ufficio Tecnico Alessi », puis d’« Alessi » tout court, montre quelques beaux spécimens, comme ce plateau à gâteau avec cloche de verre datant de 1929, le set shaker/rafraîchisseur/seau à glace dessiné en 1957 par le duo Luigi Massoni et Carlo Mazzeri, ou les couverts Dry d’Achille Castiglioni. Sans oublier le fameux set huile-vinaigre 5070 d’Ettore Sottsass que l’on retrouve sur de nombreuses tables de trattorias, en Italie. Parfois, le processus de fabrication de l’objet est explicité, comme pour cette machine à expresso 9090 de Richard Sapper, accompagnée de ses prototypes d’étude.

Dommage que cet exercice soit rare ! Cela eut été pourtant une façon judicieuse de montrer comment, en moins d’un siècle, l’entreprise est passée d’une minuscule activité de transformation du métal à une usine de production d’objets travaillés à la presse employant cinq cents personnes et fabriquant quelque 7 500 pièces par jour.

Esquisses d’architectes, de musiciens ou d’artistes
Le plus étonnant est de voir comment cette firme familiale – Alberto, 64 ans, troisième génération, est actuellement aux commandes – tient régulièrement à s’attacher les services de la fine fleur de la création. Ainsi en est-il du projet « 100 % Make Up », collection de cent vases en céramique – un modèle unique, mais un motif différent à chaque fois – réalisés en 1992 à partir des esquisses, ici montrées, réalisées par l’architecte Nigel Coates, le musicien Brian Eno ou les artistes Nanda Vigo et Frédéric Bruly Bouabré. Idem avec les séries « Tea & Coffee Piazza » (1983) et « Tea & Coffee Towers »(2003) commandées aux architectes les plus en vue comme Aldo Rossi, Richard Meier et Hans Hollein dans la première fournée ; Greg Lynn, Sanaa et UNStudio dans la seconde. Ces trois grands projets sont exposés dans leur intégralité grâce à deux imposantes machines dotées de plateaux tournants géants, lesquelles emplissent presque toute la hauteur de la salle.

La présentation réserve quelques autres surprises, comme cet incroyable projet de cafetière napolitaine 90018, commandée par Alessi à l’architecte, designer et artiste Riccardo Dalisi. Entre 1979 et 1987, ce dernier a ainsi conçu, à partir de pièces existantes sur le marché, des centaines de prototypes. Certains ont un caractère anthropomorphe et éminemment poétique, tels ces cavaliers chevauchant leurs montures ou cet amusant Pinocchio priapique, le bec verseur jouant le rôle à la fois d’appendice nasal et de sexe.

Preuve que cette foi en la recherche est toujours bien vivante, Alessi dévoile, lors de la troisième partie de l’exposition et dans une enfilade de vitrines, une dizaine de projets inédits, lesquels devraient passer au stade de la production dans le courant de l’année 2010. « Chacun des projets se veut en phase avec une ou des problématiques auxquelles se confronte le design contemporain, explique Alessandro Mendini : non seulement les nouvelles technologies, la simplification du processus de production, la durabilité, le recyclage ou la réduction des déchets, etc., mais aussi la manière dont on pense aujourd’hui le design dans un monde globalisé, par exemple, ou comment produire en Italie sans fatalement importer les choses de Chine… »

On note, pour l’occasion, l’arrivée dans l’écurie Alessi de pointures telles que les Français Ronan et Erwan Bouroullec, avec le délicat service de table Ovale ; le Japonais Naoto Fukasawa, et ses élégantes casseroles Shiba, mais aussi la toute jeune Pauline Deltour – avec « A Tempo », série d’objets en fil d’acier d’une spartiate simplicité. Alberto Alessi a en effet donné sa chance à cette ancienne étudiante de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (promotion 2006) et collaboratrice du designer munichois Konstantin Grcic. On n’est pas le petit-fils d’Alfonso Bialetti – inventeur, en 1933, de la cafetière Moka Express devenue depuis une icône du design transalpin – pour rien !

OGGETTI E PROGETTI , jusqu’au 19 septembre, Die Neue Sammlung/The International Design Museum, Pinakothek der Moderne, Barerstrasse 40, Munich, Allemagne, tél. 49 89 27 27 50-0, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusquà 20h, www.die-neue-sammlung.de

OGGETTI E PROGETTI

Commissaire de l’exposition et scénographie : Alessandro Mendini

Réalisation des vidéos : Giacomo Giannini

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Du projet à l’objet

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