Milan ou les tendances du design

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 833 mots

Chaque année, le Salon international du meuble de Milan donne le « la » dans le monde du design - L’édition 2010 a été marquée par le retour des grands anciens.

Produire moins mais mieux… C’est, en quelque sorte, le slogan qui a prévalu tout au long de cette 49e édition du Salon international du meuble de Milan, lequel s’est déroulé du 14 au 19 avril. Aux mots honnis de « crise économique », on a donc préféré la méthode Coué. Pourtant, force est de constater que nombre d’entreprises avaient réduit la voilure, par soumission à une équation simple : moins de prototypes équivaut à moins de risques. Pour le meilleur, semble-t-il, puisque le Salon proprement dit, celui logé dans la foire de Rho-Pero, fut dans son ensemble de bonne tenue. À l’inverse des manifestations « off », qui ont, cette année, laissé un sentiment mitigé.

Le Salon a cependant pâti d’un manque de créativité et surtout d’un parasitage par les présentations de nombreuses marques hors secteur comme l’automobile (Audi, Mini, Mercedes-Benz…) ou le champagne (lire le JdA no 325, 14 mai 2010, p. 12), lesquelles usent de l’événement comme d’un tremplin pour leur communication. Aussi étonnant que cela puisse paraître, des « majors » américaines ont même tenté de s’y refaire une virginité. Ainsi, Disney s’est entiché du fabricant italien Cappellini pour produire la « Walt Disney Signature », cinq meubles en édition limitée (heureusement !), des pièces déjà éditées mais « customisées » pour l’occasion tels un fauteuil de Christophe Pillet habillé d’un imprimé à la silhouette de la célèbre souris ou un tabouret de Nendo Studio, surmonté… d’oreilles de Mickey (!).

Un poil plus subtil et dans le registre recyclage, la firme Coca-Cola a proposé à Emeco, fabricant de la célèbre chaise Navy en aluminium de la flotte de guerre américaine, de réaliser la version Navy 111, constituée de cent onze bouteilles en plastique recyclées.
Outre les habituelles locomotives toujours actives pour le meilleur : Patricia Urquiola, Philippe Starck, Naoto Fukasawa…, et parfois pour le pire : Karim Rashid, Fabio Novembre, se sont fait remarquer les Néerlandais Stefan Scholten et Carole Baijings (Total Table Design, Established & Sons, Karimoku), les Anglais Edward Barber et Jay Osgerby (Magis, Sony), l’Italien Luca Nichetto (Foscarini, Skitsch, Offecct, Venini) et l’Allemand Stefan Diez (Established & Sons, E15).

Commode translucide
La Palme du meuble insolite est revenue conjointement aux Brésiliens Fernando et Humberto Campana, le Néerlandais Marcel Wanders et l’Anglais Thomas Heatherwick. Les premiers ont imaginé pour Edra le rangement Cabana, avec ses étagères entièrement dissimulées par une abondance de fils de raphia naturel, à mi-chemin entre une coiffure hippie et les meules de foin qui fleurissent les champs au Kosovo. Le second a réalisé l’étrange chaise Sparkling (Magis), entièrement en plastique évidé et dont les quatre pieds, amovibles, ressemblent à des bouteilles d’eau minérale. Quant au troisième, il a conçu pour Magis le siège Spun qui tourne à 360 ° et nécessite assurément quelques cours d’équilibrisme avant de pouvoir y loger ses fesses.

Enfin, au rayon « exploit technique », on ne saurait ignorer la translucide et imposante commode Ghost Buster dessinée par Philippe Starck, fabriquée d’un seul tenant dans ce que l’éditeur italien Kartell décrit comme « le plus grand moule au monde ».

Avec « Contemplating Monolithic Design », l’entreprise Sony expose une passionnante réflexion sur l’intégration de la hi-fi dans la maison, ou plus exactement sur sa « désintégration ». Le duo Barber & Osgerby propose en effet d’insérer la technologie des baffles, ces « boîtes noires » souvent moches, à l’intérieur d’autres éléments de la maison. Le son ne sort plus de la traditionnelle enceinte acoustique, mais de nouveaux objets en marbre, acajou ou acrylique moulé ayant l’apparence d’un vase, d’une lampe ou d’une vitrine, ou étant complètement incorporés à l’architecture intérieure.

Lors de cette édition 2010, on a également assisté à un tonitruant retour des « grands anciens » du design transalpin : Gaetano Pesce (avec un curieux projet à long terme baptisé Sessantuna pour Cassina : 61 tables en résine vert-blanc-rouge à la gloire de l’Unité italienne dont on fêtera le 150e anniversaire en 2011) ou Andrea Branzi (« Epigrammi », superbe exposition à la galerie Clio Calvi & Rudy Volpi). Mais aussi feu Achille Castiglioni (« Effetto », belle présentation de ses maquettes d’architectures jamais montrées auparavant) et Enzo Mari – dont Autoprogettazione, un projet d’assises à fabriquer soi-même datant des années 1960, est enfin édité par le Finlandais Artek. Sans oublier Angelo Mangiarotti, qui, à 89 ans, s’offre le luxe de voir produite par l’entreprise Agape Casa une collection importante de meubles, parmi lesquels ses mythiques tables en marbre Eros et Eccentrico. Ô temps, suspends ton vol !

Ce temps qui, à voir le nombre d’horloges exposées – Guichet d’Inga Sempé et Perle de François Azambourg (Moustache), Tic & Tac de Starck (Kartell), Tempo de Naoto Fukasawa (Magis) –, apparaît comme un sujet de préoccupation essentiel. Comme si, même au pays du design, celui-ci était décidément compté.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Milan ou les tendances du design

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