Analyse

Chassez le naturel…

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2010 - 565 mots

La récession ne change pas grand-chose aux petites et grandes manies de l’art.

Les ventes du mois de mai à New York montrent que des pièces « mastodontes » peuvent parfaitement sortir en pleine crise. Il n’y a pas de différence majeure entre les copieux catalogues de 2008 et ceux livrés par les auctioneers cette année. Un Picasso (Nu au plateau de sculpteur, 1932) a atteint la somme record de 106,4 millions de dollars (80,5 millions d’euros) à New York chez Christie’s le 4 mai (lire p. 27). La collection Michael Crichton, dispersée par la maison de ventes, ne pouvait également que faire saliver avec le remarquable Flag de Jasper Johns. Tout ce qui relève du « poids lourd » n’a plus si peur de sortir le bout de son nez. Les jeunes pousses non plus. On pensait à tort que la frénésie autour des jeunes créateurs s’était estompée.

Eh bien non. En mars, autour de la foire de l’Armory Show à New York, quelques noms bruissaient sur les toutes les lèvres. D’abord celui de Will Fowler, dont les petits tableaux ont séduit un des administrateurs du Museum of Modern Art, David Teiger. L’autre buzz concernait Jacob Kassay, exposé chez Art : Concept (Paris) jusqu’au 5 juin. Pourquoi ce peintre suscite-t-il les passions aussi bien de Teiger que du collectionneur Dakis Joannou ? « C’est un très jeune artiste, pas cher [ses tableaux valent 9 000 dollars], dont le travail est délicat, intelligent, à la fois performatif et minimaliste », indique Olivier Antoine, directeur de la galerie Art : Concept. D’après le galeriste, son exposition serait prévendue dans sa totalité et il y aurait cent vingt personnes sur liste d’attente ! Vous avez dit liste d’attente ? Eh bien oui, ce qui semblait révolu voilà encore un an est en passe de se reproduire. Chassez le naturel…

Escalade fatale
Si l’engouement est vivace, la spéculation ne l’est pas moins. Prenez le cas de Matthew Day Jackson, un artiste exposé dans des accrochages de groupe à Paris chez Michel Rein en décembre 2007, puis chez Xippas en septembre 2008. À l’époque, la rumeur n’avait pas encore fait son effet. Il a suffi que l’artiste soit exposé en 2009 à la Pointe de la douane, à Venise, par le collectionneur François Pinault pour que l’escalade s’enclenche. Escalade des propositions de la part des galeries tout d’abord. Le jeune homme fit une prestation décevante à la galerie Emmanuel Perrotin, à Miami en décembre dernier. Mais qu’importe la qualité, pourvu qu’on ait l’ivresse.

En février, le joaillier Laurence Graff a déboursé 601 250 livres sterling (692 469 euros) pour une œuvre. Belle ironie, puisqu’au cours de l’exposition chez Michel Rein, les trois pièces alors présentées s’échelonnaient de 7 000 à 17 000 euros. En octobre dernier, à Paris, la galerie new-yorkaise Nicole Klagsbrun présentait à la FIAC une installation pour 80 000 euros. Pourtant, fort de son résultat chez Christie’s voilà trois mois, Sotheby’s a mis en vente les 12 et 13 mai quatre pièces de Matthew Day Jackson, dont un portrait brûlé, cédé sans doute par Charles Saatchi et estimé entre 300 000 et 400 000 dollars (227 000 et 300 000 euros), et un vêtement de cosmonaute en hommage à Beuys entre 200 000 et 300 000 dollars (150 000 et 227 000 euros). Ou comment brûler un artiste âgé de 36 ans dont l’avenir était plutôt prometteur…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Chassez le naturel…

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