Peinture italienne

L’Italie sous le ciel normand

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2010 - 680 mots

Chefs-d’œuvre et tableaux inédits en France de la collection de l’Accademia Carrara, à Bergame, sont de passage à Caen.

CAEN - À tous ceux que les block-busters parisiens exaspèrent, un conseil : filez à Caen. Car, à deux heures de train de la capitale, est présentée en ce moment une exposition de peinture qui combine qualité des œuvres, sens de l’accrochage et confort de visite, le tout dans des salles baignées de lumière naturelle, où les caprices du ciel normand permettent de voir les tableaux sous un jour inédit. Pourtant, sur le papier, le sujet aurait pu paraître des plus ennuyeux. Consacrée aux trésors de l’Accademia Carrara de Bergame, l’exposition réunit près de 80 tableaux de ce musée provincial italien créé en 1796 à l’initiative d’un généreux donateur, Giacomo Carrara.

Fermé pour des travaux plus longs que prévus, l’établissement a accepté de se séparer temporairement de son somptueux Pisanello (Portrait de Lionello d’Este, 1441), mais aussi d’un Bellini (Vierge à l’enfant, vers 1488), d’un Botticelli (Portrait de Julien de Médicis, vers 1478-1480) ou de quelques Guardi. L’Hermitage de Lausanne s’était déjà laissé tenter en 2008, en faisant venir une partie de la collection. Qu’y aurait-il donc de plus à voir à Caen ?

Patrick Ramade, directeur du Musée des beaux-arts de Caen et commissaire de l’exposition, a évité l’écueil en refusant de céder à la facilité d’une exposition clé en mains. Les chefs-d’œuvre sont ainsi accompagnés de peintures rafraîchissantes de petits maîtres, souvent totalement méconnus en France, et le propos articulé en quatre sections évoquant l’esprit de cette collection. « Ouvert en 1810 par la volonté d’un donateur et enrichi depuis par plus de 200 legs, le Musée de l’Accademia Carrara a une histoire assez proche de celle des musées français », souligne le commissaire.

La première salle est consacrée aux tableaux d’autel, dont la plupart ont été directement acquis par Carrara auprès des églises, autant d’œuvres qui n’avaient pas été montrées à Lausanne, où les salles de la fondation sont trop exiguës. À Caen, l’ampleur des espaces a permis de suggérer, sans grandiloquence, une nef d’église dans laquelle se succèdent plusieurs retables rassemblés pour l’occasion. En un coup d’œil, l’accrochage permet de balayer l’évolution du genre, des fonds d’or rigides de Vivarini (Polyptyque de Scanzo, 1488) aux grâces colorées de Lorenzo Lotto, représenté par un magnifique tableau (Le Mariage mystique de sainte Catherine, 1523) toutefois amputé de sa partie supérieure au XVIe siècle par un soldat français, en passant par le talentueux mais méconnu Bergognone (vers 1455-1522).

En entomologiste, Patrick Ramade  fait ôter les cadres adventices des panneaux pour les replacer dans leur configuration d’origine, malgré les lacunes, signalées par des rectangles vides.

Bergame, sous la domination de Venise
Les salles suivantes, parées de rouge, indiquent un changement d’ambiance, avec l’évocation de la collection réunie au XIXe siècle par Giovanni Morelli, grand donateur de l’institution bergamasque. L’homme est connu des historiens de l’art pour sa théorie attributive – et hasardeuse – établie sur une typologie des détails anatomiques figurés dans les tableaux.

D’où un goût très prononcé pour les portraits, de Pisanello au plus surprenant Giacomo Ceruti, dont le Portrait d’une jeune fille avec un éventail (vers 1740) n’est pas, selon Patrick Ramade, sans évoquer Degas. Le portrait réaliste est justement le thème de la section suivante, où le chef-d’œuvre de Giovanni Moroni, l’un des plus célèbres peintres bergamasque (Portrait d’un gentilhomme âgé de 29 ans), cohabite avec quelques peintures d’inconnus sélectionnées pour leur réelle qualité.

La dernière séquence est consacrée à la peinture vénitienne, incontournable dans la région de Bergame, restée longtemps sous la domination de Venise. Il faut ainsi prendre le temps de contempler le Canaletto sous la lumière mouvante de la verrière du musée – de préférence un jour de temps maussade et venté – pour apprécier les changements de tonalité des eaux troubles du Grand Canal.

BELLINI, BOTTICELLI, GUARDI… CHEFS-D’ŒUVRE DE L’ACCADEMIA CARRARA DE BERGAME, jusqu’au 19 septembre, Musée des beaux-arts de Caen, Le Château, 14000 Caen, tél 02 31 30 47 70, tlj sf mardi 9h30-18h. Cat., éd. Hazan, 220 p., 32 euros, ISBN 978-2-7541-0460-9

BELLINI, BOTTICELLI, GUARDI…

Commissariat : Patrick Ramade, conservateur en chef du patrimoine, directeur du Musée des beaux-arts de Caen ; Giovanni Valagussa, conservateur responsable de l’Accademia Carrara de Bergame

Scénographie : Didier Blin

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : L’Italie sous le ciel normand

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