Rochechouart

Stephan Balkenhol, Hermann Pitz

Antinomies

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 689 mots

Le château de Rochechouart, près de Limoges, propose jusqu’à la fin du mois deux expositions distinctes. Elles permettent de faire le point sur les œuvres développées par Stephan Balkenhol (né en 1957) et Hermann Pitz (né en 1956), deux des artistes allemands qui furent parmi les plus présents sur la scène européenne des dix dernières années.

ROCHECHOUART - Balkenhol réinvestit le champ figuratif de la sculpture en travaillant le bois en ronde bosse ou en relief. Toujours grossièrement équarries à partir du billot brut, ses figures polychromes acquièrent un statut générique, comme les modèles des grands portraits de Thomas Ruff par exemple.

L’exposition de Rochechouart décline différents registres académiques, du nu féminin au penseur, privilégiant l’aspect formaliste des sculptures qui, dans une pose hiératique, se présentent toujours de front au spectateur. Deux des aspects les plus contemporains de l’œuvre sont cependant écartés de cet accrochage assez timoré.

D’abord, il ignore des sculptures où Balkenhol joue des variations scalaires, ses personnages s’asseyant sur un escargot ou s’abritant sous une amanite. D’autre part, la prise en compte du contexte d’exposition de ces figures, du site-specific que revendique Richard Serra, semble un aspect constitutif de leur lecture.

La Grande tête (1992) n’a pas le même impact dans la cour du château que lorsqu’elle surplombait la Tamise à Londres. On se souvient aussi de ce couple, en équilibre sur deux poutres fixées en l’air, dans des escaliers de l’ARC, pour l’exposition Qui, quoi, où ? Ou encore des personnages accrochés aux murs des maisons d’Amiens.

Le manque d’espace accordé ici à chaque sculpture rend donc moins propice cette forme de rencontre qui sous-tend toute une partie de l’œuvre, particulièrement pour L’homme qui porte sa tête dans ses bras (1994), que l’on aurait préféré affronter seul à seul. L’intérêt de cette présentation réside donc davantage dans son caractère rétrospectif et quelques pièces significatives, comme ce tryptique de 1992, acquis récemment par le M.A.C. de Marseille.

Hermann Pitz
L’exposition d’Hermann Pitz – un étage plus haut mais aux antipodes quant au propos – invite sans cesse le spectateur à de nombreux allers-retours. À l’entrée, un croquis élabore une généalogie du travail. Un mur de photographies, souvent des polaroïds, opère à la fois comme carnet de notes et mémoire d’expositions antérieures. La maquette en bois d’une table où reposent d’énormes gouttes d’eau, dans le premier espace, trouve une réalisation (possible), en bois et verre, dans le troisième.

Il est ici souvent question de point de vue, sur l’architecture d’un lieu ou d’un paysage, et surtout des prothèses de vision, à commencer par l’œil, auxquelles se soumet notre appréhension du réel. Duplications, déformations, anamorphoses : un même objet voit toujours ses représentations démultipliées.

La notion du temps est très présente dans cette longue phrase où se jouent toujours de nouvelles articulations, entre réalité et représentation, entre histoire privée et domaine social. Par exemple, en 1988, Pitz photographie un mini-golf aux Pays-Bas. Deux ans plus tard, il en photographie un autre, dans un parc de Düsseldorf. Le premier est très entretenu (gazon fraîchement coupé, gravillon râtissé).

L’autre, envahi par les mauvaises herbes, s’enfonce et disparaît dans le sol. Entre les deux images juxtaposées (Petite histoire de la sculpture de plein air, 1990) s’écrit une forme d’archéologie contemporaine, le mini-golf représentant dans les années 60 le luxe à portée de tous – nouvelle déformation miniaturisée de la réalité.

Si elle peut sembler énigmatique, l’œuvre de Pitz n’a de cesse d’ouvrir des pistes au spectateur, qui passent par sa propre expérience des différents niveaux de réalité de l’exposition. Un phénomène très sensible de cet environnement est encore celui de la lumière, filtrée ici par des écrans noirs, captée ailleurs au travers d’une lentille. Au terme de ce parcours, Pitz dirige vers le mur l’éclat saisissant et blafard de six lampadaires urbains ramenés de Berlin-Est, écrasant littéralement tout élément de la réalité proche.

Si le grenier du château n’est pas toujours l’espace adéquat à ceux que recrée Pitz, l’exposition donne encore et encore à réfléchir.

\"Stephan Balkenhol\", \"Hermann Pitz\"

Musée départe­mental d’art contemporain, jusqu’au 2 octobre, Château de Rochechouart, 87600 Rochechouart, tél. 55 45 10 16. Catalogue de l’exposition "Hermann Pitz" à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Stephan Balkenhol, Hermann Pitz

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