Bâle

De la foire au musée

Le court-circuit de l’art contemporain

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 462 mots

Le voisinage immédiat de la plus grande foire d’art contemporain donne aux expositions présentées dans les musées bâlois un éclairage particulier. Cet été, le Museum für Gegenwartkunst et la Kunsthalle illustraient, chacun à leur façon, le court-circuit dans lequel est engagé l’art vivant.

BÂLE - Ce n’est certes pas abusivement que la collection Udo et Anette Brandhorst était présentée au Musée d’art contemporain de Bâle jusqu’à la fin juillet : son ampleur et sa qualité la rendent comparable, voire supérieure, à celle que les musées ont eux-mêmes pu réunir. De Cy Twombly, Jannis Kounellis et Mario Merz à Gunter Forg, Mike Kelley et Robert Gober en passant par Bruce Nauman, Ulrich Rückriem et Georg Baselitz, les Brandhorst ont constitué, depuis vingt ans, des ensembles de première importance.

La découverte de l’œuvre de Twombly, dont ils ont acquis trente-trois peintures et dessins, fut décisive. Habitant d’abord Munich, ils ont ensuite déménagé à Cologne, qui devenait alors le centre artistique de l’Allemagne. Des liens étroits avec le milieu de l’art, en particulier des marchands comme Heiner Friedrich et Franz Dahlem, et un artiste comme Blinky Palermo, leur ont permis une approche privilégiée de la création contemporaine.

Des œuvres atypiques
Leur goût pourra sembler éclectique, ainsi préservé de tout risque, et, par rapport à ce que l’on peut voir à la foire de l’autre côté du Rhin, conventionnel. Sans doute. Mais les Brandhorst ont compris, bien rarement à leurs dépens, que la production des artistes est inégale, et qu’une simple liste de noms, aussi prestigieux soient-ils, n’est pas une garantie d’excellence en soi.

De sorte qu’on ne déplore, au détour des salles, la présence d’aucun rogaton. Au contraire, le souci d’acquérir parfois des œuvres atypiques ou peu connues, comme cette gouache de Kounellis ou cette peinture de 1953 de Mario Merz, donne une tonalité particulière à l’ensemble.

Collectionner et montrer l’art contemporain est affaire de distance autant que de respect. Les Brandhorst y parviennent avec simplicité. Thomas Kellein, qui dirige la Kunsthalle depuis plusieurs années, a habitué son public à des propositions complexes. Avec l’exposition intitulée "Monde et Morale" qui s’est tenue en juin et juillet, il a une nouvelle fois cherché à susciter une distance par la cohabitation d’œuvres anciennes et contemporaines, avec, pour dénominateur commun, leur caractère insolite ou provocateur.

Un tel exercice est toujours intrigant ou séduisant, rarement convaincant. Quelles relations, même lointaines, peut-on établir entre Honoré Daumier et Mike Kelley? Entre le caricaturiste Wilhelm Mensch et les photographies glauques de Nan Goldin? Ou encore, entre le moralisme appliqué que Hans Haacke partage avec Jenny Holzer et la dérision systématique de Martin Kippenberger? Illustrer les problèmes moraux est à la portée de n’importe quel compilateur. Concevoir une approche morale de l’art et de son rôle dans la société est une entreprise autrement subtile.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : De la foire au musée

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