Chicago

Odilon Redon révélé

Collaboration américano-hollando-anglaise pour une grande rétrospective

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 749 mots

L’Art Institute de Chicago, le Musée Van Gogh d’Amsterdam et la Royal Academy de Londres ont collaboré pour organiser une rétrospective de l’œuvre d’Odilon Redon (1840-1916). L’événement a pour prétexte le centième anniversaire de la première exposition de l’artiste, chez Durand-Ruel, à Paris. Les archives d’André Mellerio, récemment acquises par l’Art Institute de Chicago, comportent des documents inédits sur la jeunesse d’Odilon Redon.

CHICAGO - Selon Douglas Druick, conservateur adjoint de l’Art Institute, les études précédentes sur Redon ont été limitées par le manque d’accès aux informations. Les carnets de l’artiste sur sa production sont au Louvre, mais interdits d’accès jusqu’en 2002. De ce fait, le catalogue raisonné de Wildenstein manque de détails sur les dates ou l’histoire des expositions.

Les données sur Redon s’accumulent pourtant peu à peu : Rosalinde Bacou a reçu l’accord des héritiers pour publier une série de lettres écrites au peintre, ainsi que l’inventaire de sa bibliothèque ; Suzy Lévy a publié sa correspondance avec son commanditaire hollandais, Andries Bonger ; Robert Coustet a livré au public un remarquable ensemble de documents.

Toutefois, le tableau qui en ressort demeure flou et incomplet, un peu comme la personnalité qui émerge de l’autobiographie de l’artiste, À soi-même, compilée après sa mort par sa veuve, Camille. "Redon a largement été considéré comme une passerelle, observe M. Druick, comme l’œil de sa célèbre image, planant librement au-dessus de son époque et reliant les Romantiques aux Surréalistes. Nous voulons le replacer exactement dans son époque, présenter le Redon historique."

Dans le catalogue abondamment illustré édité par M. Druick, des essais traitent indépendamment chacune des décennies successives de la carrière de l’artiste, ses relations avec l’esthétique de la littérature symboliste, et sa technique. On y trouvera également une chronologie révisée de ses premières œuvres jusqu’en 1894, une liste à jour de ses expositions, et une anthologie de l’accueil critique face à ses parcours visuels "aux frontières du monde imperceptible".

Épilepsie honteuse
Il y a deux ans et demi, l’Art Institute a acquis d’un marchand privé de Londres les archives d’André Mellerio (1862-1943), critique et biographe de Redon. Cette mine de matériel se rattache étroitement aux quelque 400 objets acquis par le musée en 1920 auprès de Madame Redon, dont la collection personnelle d’estampes appartenant à l’artiste, utilisée par Mellerio pour rédiger son catalogue de lithographies de 1913.

Les archives Mellerio comportent aussi des transcriptions d’écrits de Redon lui-même, des documents légaux, des lettres prêtées par Madame Redon, des notes de Mellerio à propos de conversations et d’articles, et les carnets de notes de l’artiste sur les expositions. Cet ensemble de sources, non publiées pour la plupart, fait apparaître de nombreuses informations qui jettent une lumière nouvelle sur les débuts de la vie du peintre. L’image est loin d’être idyllique.

Les découvertes d’archives de M. Coustet, mentionnées plus haut, concernent les visites de Redon à une église célèbre au XIXe siècle pour des guérisons miraculeuses dues à la Vierge. À l’âge de six ans, il semble que Redon ait souffert d’épilepsie pendant plus d’un an, ses crises provoquant "des moments très troublants de perte de conscience." Même si les "crises" ont disparu par la suite, elles pourraient avoir nourri sa prédilection pour les parcours d’une imagination cauchemardesque. M. Druick suggère ensuite que la "maladie" du jeune Redon pourrait expliquer ses onze années de semi-réclusion dans la propriété familiale, près de Bordeaux.

"L’épilepsie était incroyablement honteuse au XIXe siècle, note-t-il, et je pense que l’enfant a été en quelque sorte caché." Un autre élément nouveau et important pour notre compréhension de Redon pourrait être aussi sa rivalité avec son frère aîné, Ernest, pianiste et compositeur précoce, dont les talents musicaux étaient avantageusement comparés aux talents graphiques du jeune homme. "Je pense qu’il y a là une jalousie profonde, écrit Druick, et cela donne un arrière-plan à l’intérêt de Redon pour des sujets comme Caïn tuant Abel, Eve découvrant le cadavre d’Abel, Hagar et Ismaël dans le désert, etc."

Ces révélations peuvent infléchir notre lecture des quelque 180 lithographies, gravures, fusains, pastels et huiles rassemblés pour une exposition qui fera date. Le comité d’organisation, sous l’autorité de Douglas Druick, comprend Fred Leeman, conservateur en chef du Musée Van Gogh, et Mary-Anne Stevens, bibliothécaire et chef du Département éducation à la Royal Academy of Arts.

Chicago, \"Odilon Redon, Prince of Dreams\"

The Art Institute of Chicago, 2 juillet au 18 septembre ; Amsterdam, Van Gogh Museum, 21 octobre 1994 au 15 janvier 1995 ; Londres, The Royal Academy of Arts, 22 février au 21 mai 1995.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Odilon Redon révélé

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