Un entretien avec Michel Frizot

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1994 - 647 mots

\"Je préfère la justesse des idées à l’exhaustivité indigeste\"

Le JdA - Comment avez-vous fait le choix de l’iconographie ? Pourquoi certaines institutions prestigieuses, comme les musées d’art moderne de Paris et de New York, ont-elles été très peu sollicitées ? Pourquoi avez-vous choisi autant de photographies d’opérateurs anonymes ou peu connus, provenant de collections privées ?
Michel Frizot : La sélection de l’iconographie a été faite en premier (au départ, plusieurs milliers de documents), parce que je tenais à ce que cet ouvrage soit d’abord une histoire en images, une histoire des photographies, et non pas une histoire qui s’écrirait autour de la photographie en général.
Les photographies ne sont pas des "illustrations", elles existent en elles-mêmes, et elles sont le sujet de ce livre. Je souhaitais également qu’il n’y ait pas de redites, mais au contraire une grande variété de types d’images photographiques. De ce fait, je ne pouvais choisir en fonction de la provenance, ou pour faire briller les collections de telle institution. Et j’ai clairement annoncé que je ne m’en tiendrais pas aux "photographes connus" ; ce qui prime, c’est l’intérêt photographique des images, et il existe une production propre aux amateurs ou aux inconnus, qui est d’un grand intérêt.

Pourquoi aucune œuvre de Penn, d’Avedon ?
C’est très simple : Penn refuse l’autorisation, Avedon demande 1 000 dollars de droits pour une image. La question des tarifs devient le vrai problème de l’édition aujourd’hui.

Le champ de votre investigation est plus large que ceux pris en considération par vos prédécesseurs, mais l’Amérique centrale, l’Amérique du Sud, l’Australie, les pays d’Europe du Nord, ne sont quasiment pas évoqués.
Je n’ai pas fait une encyclopédie, dont les entrées alphabétiques seraient pondérées en tous points par des critères objectifs. Je n’ai pas cherché de parité entre les pays européens, a fortiori entre tous les pays du monde, puisqu’on a fait de la photographie – et anciennement – absolument partout. Il est question ici de lieux où se sont produits des événements photographiques déterminants, où des hommes isolés, des groupes, des associations ont mûri des projets, ont transformé les conceptions de la photographie. Je ne dédaigne rien ni personne, mais malgré le volume de ce livre, il n’est pas possible de parler de tout le monde ; en outre, ce n’est pas mon objectif et il y a des livres spécialisés pour cela. Je préfère la justesse des idées à l’exhaustivité indigeste des informations qui ne sont pas reliées les unes aux autres.

Certains pans de la photographie – architecture, publicité, théâtre, cinéma... – sont moins pris en considération que d’autres. Est-ce parce que dans ces secteurs les praticiens ont été moins créatifs ?
Je crois que l’histoire de la photographie sectorielle, qui correspond en général à des spécialisations professionnelles, a montré ses limites. C’est ce qu’on appelait au XIXe siècle les "applications" de la photographie. À la fin du XXe siècle, la photographie apparaît comme un enjeu formidable, qui a modelé les formes de pensée, notre rapport au monde, notre lecture de toutes les images, et il est temps de ne plus en parler selon un plan préétabli, suranné. Il faut reconsidérer le grand corps de la photographie, sans a priori, et tenter d’en faire une histoire du sens, une histoire du contenu, une histoire de l’usage social, une histoire des modalités de vision.

Au terme du travail considérable que vous avez effectué, et au-delà de votre important apport, avez-vous des regrets ?
Je n’ai que le regret de n’avoir pas ouvert davantage encore le champ de la photographie, déjà considérablement élargi ici. Il y a place pour davantage d’anonymes ou d’inconnus, qui ont leur mot à dire. Cet ouvrage est une proposition, qui s’adresse à un large public – du reste nullement ancré dans des considérations obsolètes – et il s’agit maintenant de poursuivre cette relecture, avec une matière qui ne manque pas, mais que l’on néglige.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Un entretien avec Michel Frizot

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