Maao II

Le musée retrouvé

Les priorités de Jean-Hubert Martin, nouveau directeur du Musée des arts africains et océaniens

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1994 - 710 mots

Un interminable conflit entre son précédent directeur, Henri Marchal, et la Direction des Musées de France, avait paralysé le musée de la Porte Dorée. Nommé à sa direction en juillet dernier, Jean-Hubert Martin, ci-devant directeur du Musée national d’art moderne, promoteur de l’exposition les \"Magiciens de la terre\" en 1989, actuel directeur artistique du château d’Oiron, aura fort à faire pour dépoussiérer l’ancien musée colonial.

Paris - Mettant fin à un ubuesque conflit administratif, la nomination de Jean-Hubert Martin au Musée des arts africains et océaniens est aussi le signe d’une volonté politique de redonner à cette institution, qui n’a pas connu d’évolution notable depuis le ministère Malraux, une vraie place dans le paysage muséal. Plus fréquenté pour son aquarium que pour ses collections et ses expositions, le musée, qui a longtemps servi de débarras pour différents services de la DMF, doit voir sa vocation redéfinie.

La première mission du nouveau directeur est de réfléchir aux modalités d’une collaboration étroite et harmonieuse avec le Musée de l’Homme (qui dépend, lui, du ministère de l’Éducation nationale), de sorte que le considérable patrimoine d’art africain et océanien puisse être rationnellement mis en valeur. Dans ce même esprit, un inventaire des œuvres océaniennes conservées dans les musées de province est centralisé sous la responsabilité de Roger Boulay et Philippe Pelletier, tous deux universitaires, chargés de mission au Maao, et le même programme sera prochainement appliqué aux arts africains.

"Décolonialiser"
Disposant dorénavant de l’autonomie budgétaire d’un "centre de responsabilité", et à condition que les crédits du ministère de la Culture ne soient pas trop chichement comptés, le Maao s’apprête à connaître une révolution. Jean-Hubert Martin, qui s’est lancé, depuis les "Magiciens de la terre", dans une vaste exploration de l’art contemporain des pays du tiers-monde, était tout désigné pour la mener à bien. Il s’agit en effet de tourner définitivement la page d’une approche coloniale de l’art du tiers-monde, que célébrait l’ancien Musée permanent des colonies, inauguré en 1931. Pour autant, il est hors de question de refouler l’histoire.

Au contraire : "Une galerie historique traduira l’évolution du regard porté par l’Occident sur un art péjorativement qualifié de primitif, et témoignera aussi du regard des non-occidentaux sur l’Europe, depuis les Lumières jusqu’à aujourd’hui, en passant par les débuts de l’anthropologie". La collection d’art proprement colonial sera dignement présentée, et "même s’il est improbable d’y voir des chefs-d’œuvre, il est cependant nécessaire d’assumer pleinement cet aspect de l’histoire". Jean-Hubert Martin souhaite enrichir les collections sur le budget d’acquisition de la DMF, car "si le 13e département n’a pas pu voir le jour au Louvre, l’évolution de la mentalité des conservateurs à l’égard des arts premiers est patente".

Le dialogue contre les ghettos
"La politique d’exposition, poursuit avec optimisme le nouveau directeur, tiendra en un mot : dialogue. Dialogue auquel j’associerai les artistes contemporains de tous les continents, poursuivant le mouvement initié par les Magiciens. S’il a suscité des réticences ici et révélé de grandes naïvetés là-bas, je le crois cependant irréversible. Il me semble, en tout cas, que c’est bien le seul par lequel on puisse briser les ghettos culturels." Dialogue dans le temps et dans l’espace : des expositions monographiques d’art traditionnel réalisées en collaboration avec des artistes vivants permettront une réflexion critique.

Ainsi l’artiste ivoirien Frédéric Bruly-Bouabré choisira et commentera des œuvres traditionnelles de son ethnie. Et des expositions personnelles d’artistes occidentaux, qui ont des intérêts plus ou moins directs hors de leur propre sphère culturelle, ou non-occidentaux, contribueront à effacer la cassure entre le public des arts premiers et celui de l’art contemporain. "Je souhaite éviter, remarque encore Jean-Hubert Martin, les résonances diplomatiques des expositions de groupe." Dernier aspect de cette politique : des expositions thématiques s’attacheront à décrire des aspects importants de la culture non-occidentale, comme celle qui sera consacrée au Vaudou, du XVIIe à aujourd’hui, de l’Afrique en Amérique.

Enfin, le bâtiment lui-même, conçu par Léon Jaussely et Albert Laprade sous l’autorité du Maréchal Lyautey, sera entièrement réaménagé. Durant l’éphémère direction de Cecil Guitard, une consultation architecturale avait été lancée. Les soixante dossiers déposés seront prochainement examinés, et le Maao sera doté des services attendus (librairie, cafétéria, salle de conférence et de cinéma, bibliothèque modernisée, etc).

Musée des arts africains et océaniens

293 avenue Daumesnil - 75012 Paris. Tél: 44 74 84 80.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Le musée retrouvé

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