Rêves de musées

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2010 - 924 mots

À l’occasion de l’ouverture de l’établissement, le Centre Pompidou-Metz propose une exploration
de l’architecture des musées en France depuis 1937.

Pierre Bonnard, conviction et mauvaise foi mêlées, affirmait : « On peut être un musée et on peut être moderne, mais on ne peut pas être les deux à la fois. » Avec tout autant de conviction et une évidente bonne foi, Laurent Le Bon, commissaire de l’exposition inaugurale « Chefs-d’œuvre ? » (lire page 19), et Aurélien Lemonier, commissaire associé pour la section « Architectures de musées, 1937-2014 », qui prend place au sein de la partie « Rêves de chefs-d’œuvre » présentée dans la galerie 2 du Centre Pompidou-Metz, tentent de démontrer le contraire.

Avant même d’aborder cette section, il n’est pas inutile de lire le texte du catalogue qui lui est consacré. Texte savant, documenté et d’une grande clarté dans lequel Aurélien Lemonier esquisse une histoire des musées depuis leur « invention » dans la France de la fin du XVIIIe siècle. Ce panorama s’étend jusqu’à leur transformation hétérotopique à la fin du XXe, en passant par « l’invention du visiteur » opérée à la fin du XIXe (soit le moment où, « de cénotaphe, lieu de conservation, le musée se transforme en lieu de construction de l’individu ») et la « muséographie à l’œuvre » à l’orée des années 1930.

Un voyage écrit qui nous emmène du musée idéal vu par l’architecte révolutionnaire Étienne Louis Boullée, lequel énonce que « le monument le plus précieux pour une nation est certainement celui qui conserve toutes les connaissances existantes », jusqu’aux rives de la déconstruction, de la disjonction, de la dislocation imaginées et/ou constatées par des penseurs tels Jacques Derrida ou Michel Foucault.

Une fois absorbée cette petite histoire qui met en perspective les oppositions entre « monument urbain » et « machine à exposer », puis entre « enveloppe contenant des objets » et « centre de communication et d’information », il est temps pour le visisteur d’aborder la partie vive de l’exposition. S’alignent alors vingt-cinq socles sur lesquels trônent autant de maquettes datant de l’époque de leur création, auxquels s’ajoute une longue frise documentaire présentant quatre-vingts autres projets.
Vingt-cinq réalisations donc, exclusivement françaises, composent une traversée du siècle inédite. Ces maquettes ont pour principale logique organisationnelle la chronologie. Se dégagent néanmoins de cet alignement d’autres organisations, d’autres classifications, d’autres oppositions, d’autres discours.

Parmi les projets manifestes et affirmés, à la très forte symbolique, figurent le Centre Pompidou à Paris de Renzo Piano et Richard Rogers (1977) qui exalte la technologie triomphante et les lendemains qui chantent, et le Centre culturel Jean-Marie - Tjibaou à Nouméa de Piano (1998) qui annonce la prise de conscience écologique. Ceux-ci dialoguent avec la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence de José-Lluís Sert (1961) et la Fondation Cartier à Paris de Jean Nouvel (1994), lesquelles, à trente-trois ans d’écart, affirment la même idée de transparence et de fluidité.

Des projets ont pour moteur l’efficacité, à l’instar des très dissemblables musées d’art contemporain le Carré d’art à Nîmes par Norman Foster (1993) et le Mac/Val à Vitry-sur-Seine de Jacques Ripault (2005). Ils en remontrent aux fiascos que sont sur le plan architectural la Pyramide du Louvre à Paris de I. M. Pei (1989) ou, du point de vue scénographique, le Musée du quai Branly à Paris de Jean Nouvel (2006). Les projets qui mêlent avec succès réhabilitation et extension, tel le Palais des beaux-arts à Lille de Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart (1997), répondent aux fantaisies postmodernes et amusantes – ainsi du Centre international d’art et du paysage à Vassivière (Limousin) d’Aldo Rossi et Xavier Fabre (1991)…

Destination touristique
Ce qui reste peu abordé au fil de l’exposition comme au fil des pages du catalogue, c’est la teneur politique, économique, sociale, philosophique tout autant que muséale et architecturale de ces lieux. N’est pas mise en relief non plus la somme d’impératifs nouveaux (accueil et flux des publics, concessions et commerces, produits dérivés – soit la trilogie marketing, merchandising, recettes propres) qui préside à l’élaboration du programme des musées, et donc de leur conception et de leur réalisation.

Même si Aurélien Lemonier souligne à juste titre que le musée est devenu « une destination touristique, [et est] institué acteur du développement économique ». À cet égard, le Guggenheim à Bilbao de Frank O. Gehry (1997), absent des socles, en est la démonstration éclatante : Bilbao, ville industrielle en totale déshérence, est devenue, grâce à cette implantation inattendue, destination touristique flamboyante.

Le Guggenheim de Bilbao n’est pas le seul absent de cette litanie soclée de « musées rêvés » absolument franco-française. La donnée en exclut également ce chef-d’œuvre de symbolisme que constitue le Musée juif à Berlin de Daniel Libeskind (1999), ou encore cet aboutissement de la réhabilitation-reconversion qu’est la Tate Modern à Londres de Herzog & de Meuron (2000). Regret léger, tant la démonstration est, ici, convaincante. Laissons néanmoins le mot de la fin à Pierre Bonnard, qui murmurait, amusé : « Ce qu’il y a de plus beau dans un musée, ce sont les fenêtres. »

« RÊVES DE CHEFS-D’ŒUVRE », du 12 mai 2010 au 29 août 2011, Centre Pompidou-Metz, galerie 2, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz, tél. 03 87 15 39 39, tlj sauf mardi, lundi et mercredi 11h-18h, jeudi et vendredi 11h-20h, samedi 10h-20h, dimanche 10h-18h, www.centrepompidou-metz.fr. Catalogue à paraître, 49 euros.

Le public est invité à découvrir gratuitement l’architecture et l’exposition inaugurale dans le cadre des festivités proposées lors des « Journées inaugurales » du mercredi 12 au dimanche 16 mai.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Rêves de musées

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