Art moderne

Le chef-d’œuvre mieux connu

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2010 - 942 mots

METZ

À l’ambitieuse entreprise qu’est le Centre Pompidou-Metz répond la non moins ambitieuse exposition inaugurale autour de la notion de « chef-d’œuvre ».

 « Chefs-d’œuvre ? » est le titre de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz, digne d’une thèse universitaire. Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Traverse-t-il les siècles ? Cette notion a-t-elle encore un sens ? Qui décide et qui définit ce qu’est un chef-d’œuvre ? et de quel droit ? C’est en 780 œuvres – dont 700 issues des collections du Musée national d’art moderne (MNAM) – que le parcours messin lance des pistes de réflexion. À ce riche ensemble pluridisciplinaire s’ajoutent les prêts exceptionnels de la part d’institutions françaises et étrangères qui ont joué le jeu en confiant une pièce majeure de leurs collections.

Des œuvres d’artistes contemporains ont aussi été spécialement réalisées pour l’occasion. Le commissaire de l’événement et directeur des lieux, Laurent Le Bon (lire p. 16) insiste sur la nature ouverte du propos, lequel n’a pas pour objectif d’apporter des réponses définitives. Et d’expliquer que ce thème inaugural est en partie dû aux remarques récurrentes faites à son adresse sur le « chef-d’œuvre » que serait l’édifice de Shigeru Ban et Jean de Gastines, et surtout sur le statut « secondaire » du musée délocalisé ; Metz ou une ville de province où les habitants n’auraient pas droit aux chefs-d’œuvre.

Geste inaugural
Cette investigation sur les notions de goût et de jugement esthétique est d’autant plus pertinente que les ouvrages ou les expositions qui ont pu se frotter au sujet sont rares, et que le terme « chef-d’œuvre » est aujourd’hui utilisé à tout bout de champ, pour ne pas dire à tort et à travers. Découpé en quatre séquences occupant l’intégralité du bâtiment, le parcours s’interroge en premier lieu sur les origines de la notion de « chef-d’œuvre » et son évolution à travers les siècles. Ainsi au Moyen Âge parlait-on de chef-d’œuvre pour désigner l’œuvre qu’un membre d’atelier devait exécuter afin de gagner le titre de « maître ». Avec la section suivante, « Histoires de chefs-d’œuvre », le chef-d’œuvre naît de la rencontre de tracés convergents (artiste, processus de création, œuvre et fortune critique).

Clin d’œil à l’édifice d’exception qu’est le Centre Pompidou-Metz, la présentation architecturale de « Rêves de chefs-d’œuvre » se penche sur le rôle que joue le musée dans la naissance d’un chef-d’œuvre (lire p. 20). « Chefs-d’œuvre à l’infini » conclut le parcours sur une interrogation majeure : à l’heure des technologies numériques, de la reproductibilité ad libitum, du piratage et non-respect du droit d’auteur, la notion de chef-d’œuvre tient-elle toujours la route ?

En filigrane de cette démonstration, s’inscrit l’histoire du Musée national d’art moderne et de ses collections. Lors de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou en 1977, son premier directeur, Pontus Hulten, avait obtenu, pour pallier les manques, le prêt d’œuvres appartenant à des institutions nationales. Un geste imité par Werner Spies qui, à l’occasion de la réouverture du Centre en 2000, avait emprunté à la Collection Renault Requiem pour une feuille morte (1967), sculpture monumentale de Jean Tinguely, pour ouvrir le parcours des collections permanentes.

Parmi la trentaine d’institutions qui ont accepté de participer à la genèse du projet messin, le MoMA [Museum of Modern Art, New York] donne toute sa dimension au propos de l’exposition en confiant Girl in a Mirror (1940) de Morris Hirshfield. Illustre inconnu aux yeux de la plupart des visiteurs, ce peintre naïf américain tenait une place d’exception dans le panthéon d’Alfred H. Barr, premier directeur du musée américain, connu pour son travail de réinterprétation de l’œuvre de Picasso.

Cette « Joconde de l’art naïf » fait partie du contingent d’œuvres moins attendues (contrairement, par exemple, à la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp ou La Tristesse du roi d’Henri Matisse) et dont la qualité force à s’interroger sur la notion même de « chef-d’œuvre ». Idem pour L’Arbre rouge de Séraphine de Senlis, l’une des – très – rares artistes femmes ici présentées, dont Laurent Le Bon rappelle l’immense popularité dans les années 1940.

La présence de Séraphine permet par ailleurs de souligner la multiplicité des postures de l’artiste face à son œuvre : tandis que la femme de ménage de Senlis peignait par nécessité sans se douter de la force de ses tableaux, Jacques Villeglé ramasse un fil d’acier tortillé sur la plage et le qualifie aussitôt de « chef-d’œuvre » (Fils d’acier, chaussée des Corsaires, Saint-Malo, août 1947).

Des scénographies
Pour donner corps à ce parcours pharaonique, une attention toute particulière a été portée à la scénographie (signée Jasmin Oezcebi), ou plutôt aux scénographies, car chacune des quatre séquences a droit à une mise en scène spécifique. Au fur et à mesure de la visite, et alors que l’on accède aux étages supérieurs, le décor s’ouvre, l’occasion pour Laurent Le Bon de filer la métaphore : au dernier étage, les architectes ont placé au terme d’une longue galerie une grande baie vitrée donnant sur la cathédrale de Metz. À mesure que l’on avance, le panorama s’élargit et la cathédrale rapetisse. « C’est en somme la même chose pour le chef-d’œuvre : plus on s’en rapproche, et plus il vous échappe », résume le commissaire.

« CHEFS-D’ŒUVRE ? », du 12 mai 2010 au 29 août 2011, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz, tél. 03 87 15 39 39, tlj sauf mardi, 11h-18h lundi et mercredi, 11h-20h jeudi et vendredi, 10h-20h samedi, 10h-18h dimanche, www.centrepompidou-metz.fr. Catalogue à paraître, 49 euros.

Le public est invité à découvrir gratuitement l’architecture et l’exposition inaugurale dans le cadre des festivités proposées lors des « Journées inaugurales » du mercredi 12 au dimanche 16 mai.

CHEFS-D’ŒUVRE ?

Commissaire : Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz

Nombre d’œuvres : 780 par plus de 150 artistes, réparties sur l’intégralité du site, soit 5 000 mètres carrés d’espaces d’exposition

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Le chef-d’œuvre mieux connu

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