Patrimoine

Les trente ans de l’Inventaire général

Bilan d’un travail de bénédictin

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 1001 mots

La septième édition des Entretiens du Patrimoine, qui se tient du 28 au 30 novembre au palais de Chaillot, célébrera le trentième anniversaire de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France. Face à l’ampleur de sa mission, l’Inventaire a dû revoir son ambition initiale : 20 % seulement du territoire national a été inventorié de manière normalisée et systématique à ce jour. Mais l’Inventaire est désormais associé à la prévention au titre de la protection.

PARIS - Né d’une "utopie" d’André Chastel, dans les années 1960, le recensement de l’ensemble immobilier et mobilier du patrimoine public et privé en France a commencé dès 1964, à l’initiative d’André Malraux. Démarche scientifique, l’Inventaire général s’est appliqué d’emblée à définir une unité des connaissances et à résoudre des problèmes de définition de normes. Afin qu’un chercheur de Nantes ou de Strasbourg analyse de la même manière un monument ou un objet, le travail sur le terrain, ainsi que les techniques d’archivage et de saisie informatique, ont dû être normalisés.

Les conclusions de cette recherche méthodologique sont publiées dans la série des Principes d’analyse scientifique, ouvrages de référence. Un Vocabulaire est ainsi destiné à chacune des grandes disciplines artistiques, architecture, sculpture, tapisserie, objets civils domestiques, mobilier civil, vitrail.

Fort de ses instruments de recherche, l’Inventaire s’emploie dès lors à son travail de recensement. L’Inventaire fondamental est la première approche mise en place, et consiste en une étude systématique menée canton par canton, unité géographique de base de l’Inventaire. "De la cathédrale à la petite cuillère", selon une formule célèbre, la totalité d’un canton doit être répertoriée. Ce procédé minutieux, employé pour la première fois en 1969 en Auvergne, pour le canton de Carhaix-Plouguer, se révèle très vite trop lent.

Face à l’immensité de la tâche à accomplir, une démarche plus efficace – le pré-inventaire normalisé – a été imaginée dans les années soixante-dix. Elle offre un repérage rapide et sommaire de toutes les œuvres architecturales, publiques et privées, et des œuvres mobilières du domaine public (dans les mairies, les églises, les hôpitaux). Pour chaque œuvre ou monument, un dossier est constitué, comprenant descriptif analytique, documentation iconographique, relevés topographiques, plans, croquis. Peu à peu, ce procédé – qui n’oblige plus à pénétrer chez les propriétaires privés – est devenu la règle.

Des logiques thématiques sont aussi apparues progressivement, débordant les limites étroites des cantons pour couvrir de grandes entités, cohérentes par leurs données géographiques et historiques. C’est le cas de l’enquête érudite sur tous les châteaux de Sologne publiée en 1991. L’équipe de l’Inventaire régional du Centre s’y livre à une interprétation de cette forme architecturale évolutive. Le nombre des châteaux et leur qualité dépassent l’analyse de l’historien d’art pour toucher à l’histoire même de la société rurale solognote.

Patrimoine industriel et vitraux
Actuellement, deux grands recensements thématiques à travers toute la France – le patrimoine industriel et l’inventaire des vitraux – constituent une part importante des travaux menés. À chacun de ces deux thèmes a été affectée une équipe régulière de recherche. La "cellule du patrimoine industriel" a ainsi retenu plusieurs orientations d’étude : les moteurs hydrauliques et leur utilisation, la céramique industrielle, les industries minières, la métallurgie du fer, d’où un Vocabulaire du métal et de la céramique en cours d’élaboration.

Depuis 1991, l’Inventaire général et les Monuments historiques sont regroupés dans le cadre de l’organisation des services centraux de la direction du Patrimoine.
La démarche scientifique de l’Inventaire reste, certes, déconnectée de celle – liée à des préoccupations d’ordre administratif et fiscal – des Monuments historiques. Mais cette évolution illustre, toutefois, la volonté d’assurer une plus grande continuité entre le développement des connaissances scientifiques et les stratégies de prévention adaptées à chaque type de patrimoine. Il s’agit d’allier désormais identification, protection et mise en valeur.

"Ce que nous inventorions en France, c’est notre mémoire", rappelle Jean-Marie Pérouse de Montclos, l’un des pères fondateurs de l’institution, "car le patrimoine est une affaire de mémoire. L’État ne pourra jamais assurer la protection de tout le patrimoine. Alors, raison de plus pour marquer d’une encre indélébile, tant qu’il en est encore temps, des objets qui ont retenu notre intérêt à un moment ou à un autre de notre histoire".

La prise de conscience de la politique du patrimoine depuis trente ans conduit l’Inventaire général à jouer, à cet effet, un rôle de conseil et d’expertise auprès des collectivités territoriales afin de les aider à promouvoir leur patrimoine. En Pays de Loire, Jacques Cailleteau, conservateur régional de l’Inventaire général, a su ainsi intéresser les collectivités locales afin de subventionner des publications, comme la revue 303 ou de financer des postes de recherche. Et c’est bien là la gageure de l’Inventaire général qui, en dépit des critiques relatives à la lenteur de ses procédés, continue son travail de bénédictin.

Centre national de documentation du Patrimoine : Hôtel de Vigny, 10, rue du Parc-Royal, 75003 Paris

Orfèvres de basse Bretagne
L’Inventaire général a étudié 1 100 pièces d’orfèvrerie de basse Bretagne, dont une cinquantaine du Moyen Âge et autant de la Renaissance forment l’un des ensembles les plus importants de France par son ancienneté, sa qualité et sa diversité. Quelque 300 de ses plus beaux objets sont rassemblés pour la première fois dans une exposition. Ceux-ci étaient largement destinés à un usage religieux. Chapelles, croix, livres, clefs, pupitres, côtes, cuisses, jambes, bras, doigts ou chefs, tous ces reliquaires nous transmettent aujourd’hui l’image des multiples dévotions locales particulièrement vivaces en basse Bretagne.

Un volume de la collection des Dictionnaires des poinçons de l’orfèvrerie française, Cahiers du Patrimoine n° 37, présente les orfèvres, les poinçons et les œuvres du Vannetais, de la Cornouaille, du Léon et du Trégor. Un dictionnaire biographique réunit tous les orfèvres de l’Ancien Régime, tandis qu’un répertoire regroupe les fabricants et marchands du XIXe siècle. Enfin un catalogue de 364 œuvres illustre abondamment la production médiévale et Renaissance et, d’une manière plus sélective, celle des XVIIe et XVIIIe siècles.
"Bretagne d’or et d’argent. Les orfèvres de basse Bretagne", Musée du Luxembourg, Paris, jusqu’au 1er janvier.

20 % du territoire inventorié
L’implantation en région des services s’est étalée sur près de vingt ans. L’Alsace a été prioritaire car les Allemands avaient déjà entrepris d’en dresser un inventaire entre 1871 et 1914 ; la Picardie, en revanche, a été la dernière dotée, en 1983. En raison de ces disparités régionales, d’effectifs restreints (280 agents de l’État et 60 agents non titulaires, recrutés sur contrats ou vacataires), de l’absence d’un budget spécifique à l’Inventaire, 20 % seulement du territoire national a été effectivement inventorié de façon systématique aujourd’hui. Certaines régions sont donc beaucoup mieux couvertes que d’autres, de même que la saisie informatisée et normalisée de la documentation recueillie lors des campagnes thématiques et des dernières opérations ponctuelles est inégale d’une Direction Régionale des Affaires culturelles (DRAC) à l’autre.

L’Inventaire général mobilise sur le terrain des équipes constituées de chercheurs, de photographes, de dessinateurs, de documentalistes dont la méthode de travail relève encore bien souvent de la "fiche manuscrite dans la boîte à chaussures". En trente ans, cet organisme a toutefois constitué la plus importante documentation historique et photographique jamais rassemblée sur le patrimoine de la France : deux millions de clichés, d’importantes bases de données – dont Mérimée, consultable sur le 3615 Joconde – donnent accès à toutes les informations sur le patrimoine architectural français. L’Inventaire général valorise également ses travaux à travers des publications scientifiques, – quelque trois cents titres en sept collections – notamment ses Cahiers de l’Inventaire et ses Inventaires topographiques, et organise des manifestations destinées au grand public, particulièrement lors des Journées du Patrimoine en septembre. Cette somme de documentation est disponible au Centre national de documentation du Patrimoine à Paris et dans chaque DRAC.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Les trente ans de l’Inventaire général

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