Le mois de la photo à Paris

"La richesse d’un festival, c’est l’abondance, la profusion"

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 1029 mots

Un entretien avec Jean-Luc Monterosso, directeur artistique du Mois de la Photo.

Le Journal des Arts : Le principe du Mois de la Photo n’ayant pas varié depuis sa création, pourquoi maintenez-vous un nombre très élevé d’expositions, – quatre-vingts cette année – pendant une période relativement courte, au risque d’en réduire la fréquentation ?

Jean-Luc Monterosso : La programmation d’un festival n’a rien à voir avec une programmation muséale. Ce qui fait la richesse d’un festival, c’est l’abondance, la profusion. Des centaines de films sont présentés au Festival de Cannes, des dizaines de pièces sont jouées en Avignon. C’est un peu la même chose dans le Mois de la Photographie. L’essentiel, c’est que toutes les expositions soient inaugurées pendant le mois de novembre. C’est une période effectivement courte, car une exposition, surtout lorsque c’est une grande exposition, dure au minimum deux mois et la fréquentation, jusqu’à présent, n’en a pas souffert, puisque, comme vous le savez, le Mois de la Photo est le festival le plus fréquenté de France, avec 500 000 visiteurs.

En fin d’année, le public est-il plus disponible ?

À la fin de l’année, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les chiffres ont montré que la fréquentation remonte considérablement entre les fêtes, car l’audience du Mois de la Photo déborde très largement Paris et la région parisienne, et beaucoup de provinciaux et étrangers viennent visiter les expositions du Mois entre Noël et le Nouvel an.

Les lieux d’expositions sont très dispersés dans Paris et pas toujours propices à cette activité. Ne craignez-vous pas que la photographie, médium de grande audience, apparaisse comme le prétexte à une mise en animation de la ville ?

C’est vrai que les lieux d’exposition sont très dispersés dans Paris. C’est vrai aussi qu’un des principes du Mois de la Photo, depuis sa création, est d’inciter à une promenade dans Paris. C’est, certes, la découverte d’expositions, mais aussi la découverte de lieux peu ou pas connus du grand public. Chaque édition du Mois de la Photo est l’occasion de pousser une porte, d’entrer dans la cour d’un hôtel particulier, dans une galerie nouvelle. Cette année, par exemple, on découvrira le superbe hôtel de Retz, la nouvelle galerie Jean-Luc Pons, ou encore le charmant Musée de la vie romantique, situé dans le 9e arrondissement.

Vous avez de longue date resserré le champ des expositions en proposant pour chaque édition trois thèmes, au demeurant larges et très accueillants ; n’y a-t-il pas un paradoxe à garder tant de manifestations hors-thème (quatorze "ouvertures" cette année), sans justification particulière ?

Je suis au regret d’avoir à vous contredire une seconde fois, mais si vous regardez avec attention les quatorze ouvertures, huit d’entre elles relèvent de la thématique : les expositions sur la Tunisie, présentées en avant-première de la Saison tunisienne, la merveilleuse rétrospective Seydou Keita, photographe malien, ou encore l’exposition de Philippe Rochot, relèvent, pour ma part, de l’éloge de l’oubli.
Agnès B., elle, présente une réflexion visuelle sur la ville ; Bruno Bachelet, dans un reportage poignant sur les SDF, ne me semble pas très éloigné de cette thématique. Quant aux autres ouvertures, comme par exemple l’exposition Lartigue, ou l’exposition Kertész, il aurait été difficile de les passer sous silence : c’est le centenaire, cette année, de la naissance de deux monstres sacrés de la photographie.

L’exposition vous paraît-elle aujourd’hui, à la huitième édition du Mois de la Photo, le meilleur véhicule de la connaissance photographique, lui donnant la plus juste place et pour le coût le plus justifié ?

Pendant longtemps, la meilleure diffusion pour la photographie a été le magazine ou le livre. Les magazines sont en voie de disparition, et le livre n’a pas encore trouvé son public. Le marché du livre photo, comme vous le savez, est un marché très difficile, très limité : un succès de librairie dans ce domaine, c’est 5 000 exemplaires.
En conséquence, l’exposition est le moyen, me semble-t-il, le plus souple et peut-être le moins coûteux pour présenter la photographie au grand public, d’autant que ces dernières années, on a vu l’apparition de photographes plasticiens qui créent pour le mur du Musée, et dans ce cas précis, le seul moyen de présenter correctement leur travail, c’est, là encore, l’exposition.

Vous êtes également le directeur de la Maison européenne de la photographie qui doit ouvrir ses portes en septembre 1995. Que va offrir cette nouvelle institution?

La création de la Maison européenne de la photographie a été décidée par le maire de Paris, Monsieur Jacques Chirac, en 1988. Il a proposé un très bel hôtel particulier du Marais, l’hôtel Hénault de Cantorbe. Un concours d’architecture a été organisé en 1990, et deux architectes, Yves Lion et Alan Levitt, ont été désignés à la fois pour restaurer le bâtiment ancien et le compléter d’une partie contemporaine.
Dans cette Maison européenne de la photographie, on trouvera un grand musée, un centre de documentation multimédia et un institut de recherche.
Le musée est un musée contemporain, il abritera une collection de photographies d’environ dix mille œuvres ; 1 400 m2 seront consacrés à la présentation de collections permanentes et à l’accueil d’expositions temporaires. Quant à la consultation, elle ira du livre au film en passant par les banques de données : dans ce lieu, on trouvera une importante bibliothèque (plus de 10 000 ouvrages, en principe tous les livres publiés sur la photographie de 1955 à aujourd’hui) ; tous les films faits par les photographes ou sur les photographes, qui pourront être consultés individuellement ; et une banque de données informatiques, notamment la banque de données Auer, rassemblant plus de 20 000 fiches biographiques et bibliographiques sur les photographes.
Enfin, l’institut de recherche : il est constitué par la revue La Recherche Photographique qui trouvera là son siège, un auditorium de plus de 100 places dans lequel on pourra organiser des colloques, des conférences, des débats, et l’atelier de restauration d’Anne Cartier-Bresson.
C’est donc, comme vous le voyez, un ensemble conséquent et résolument contemporain qui, en principe, ouvrira ses portes dans quelques mois, mais c’est aussi et surtout un lieu convivial, une "maison", au vrai sens du terme, largement ouverte sur l’extérieur et tournée en priorité vers les jeunes photographes et la création de demain.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : "La richesse d’un festival, c’est l’abondance, la profusion"

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque