Art moderne

Première rétrospective en France

Kurt Schwitters le précurseur

Des collages à l’œuvre d’art totale

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 686 mots

Dix ans après l’exposition de Londres et New York, Paris rend pour la première fois hommage à l’un des piliers de l’Avant-garde, l’inventeur de \"Merz\", promoteur de l’œuvre d’art totale. Tous les aspects de cette œuvre polymorphe (peinture, sculpture, poésie, typographie et architecture) seront présentés dans la grande galerie du Centre Pompidou jusqu’au 20 février.

PARIS - Comme la plupart de ses contemporains, Kurt Schwitters (1887-1948) fit ses premières armes d’artiste en tant que peintre. Il fut assez habile, dans un genre conventionnel, pour être reconnu à Hanovre comme portraitiste. Curieusement, il ne fréquenta pas, jusqu’en 1917, les expressionnistes du groupe Die Brücke : les voies de l’Avant-garde sont parfois impénétrables.

En revanche, la rencontre avec Hans Arp et Raoul Hausmann, déjà engagés dans l’aventure dadaïste, fut déterminante et lui ouvrit les portes d’univers bien différents. D’un caractère individualiste, il n’appartint cependant jamais au "Club Dada" de Berlin, préférant s’engager dans une voie solitaire.

L’œuvre d’art totale
Le collage, qui révolutionne non seulement l’esthétique mais aussi la relation à l’art et au monde, fut son arme de prédilection. Il désigna ces œuvres sous le vocable "Merz", fragment d’un morceau de journal où apparaissaient les mots "Kommerz und Privatbank", et peu à peu ces quatre lettres devinrent sa propre marque. L’un des premiers, il étendit le collage aux objets et écrivait : "J’utilise n’importe quel matériau en fonction des exigences du tableau.

En évaluant différents matériaux les uns par rapport aux autres, j’ai un plus par rapport à la seule peinture à l’huile." Après quelques incursions dans un style constructiviste au cours des années vingt, Kurt Schwitters en vint à concevoir, pragmatiquement, des œuvres plus ambitieuses.

Recouvert de tableaux et de collages qu’il relia entre eux du sol au plafond, son atelier préfigurait dès 1923 les fameux "Merzbau", dont le plus célèbre fut détruit pendant la guerre et reconstruit en 1980 à l’initiative d’Harald Szeemann. On pourra le revoir à Paris, après sa présentation à la dernière Biennale de Lyon.

L’œuvre d’art totale, qui nourrit encore tout un pan de l’art contemporain, n’empêcha pas Schwitters de se consacrer à nouveau à la peinture figurative dans ses années d’exil, en Norvège d’abord, à Londres ensuite. Mais n’écrivait-il pas en 1920 : "Le choix de mes travaux exposés actuellement […] a pour but de montrer comment, en partant d’une imitation consciencieuse et extrêmement fidèle de la nature, avec de la peinture à l’huile, un pinceau et une toile, je suis arrivé, par le traitement logique de moyens purement artistiques, à l’œuvre Merz".

Actualités de Schwitters
Serge Lemoine, directeur du Musée de Grenoble (où l’exposition sera ensuite présentée) et maître d’œuvre de la présente rétrospective, souligne la nécessité de témoigner de la place essentielle qu’occupe Schwitters dans l’histoire des avant-garde, aux côtés de Duchamp, Matisse ou Picasso. Si l’on juge de l’importance d’un artiste à l’aune de l’influence qu’il a eue sur des générations successives, il ne fait aucun doute que l’inventeur de "Merz" est effectivement l’une des figures majeures du siècle. Il suffit de penser à Tinguely, Arman, Oldenburg ou Rauschenberg, aux artistes Fluxus et à la prolifération des environnements après-guerre pour s’en convaincre.

Plasticien, Schwitters était aussi poète et créateur de sons, et préfigure ce qui sera connu en France sous le nom de poésie sonore. L’exposition rendra compte de ce souci constant de donner forme au sens, que ce soit à travers de complexes jeux typographiques ou par des "sonates" que l’artiste improvisait jusque dans les dernières années de sa vie – ce qui le rendait lui aussi "hors-limites". Les 22, 24 et 25 novembre, une série de lectures et d’interventions sous l’égide de l’association Polyphonix donnera sa consistance sonore à l’œuvre de Schwitters.

Enfin, si le catalogue publié par le Centre Pompidou constituera le premier ouvrage de référence (de nombreux spécialistes germaniques y apporteront leur contribution), on se reportera avec profit à ses écrits, choisis et présentés par Marc Dachy, et publiés en 1990 aux éditions Gérard Lebovici.

"Rétrospective Kurt Schwitters", Centre Georges Pompidou, du 24 novembre au 20 février. L’exposition sera ensuite présentée à Valencia, à l’IVAM, au printemps 95, puis à Grenoble à l’automne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Kurt Schwitters le précurseur

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