Art ancien

New York

« L’héritage de Gengis Khan » sous le feu des critiques

Des experts jugent sévèrement l’exposition

Par Laura Suffield · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 796 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

L’exposition consacrée à Gengis Khan, « Derrière la Grande Muraille : l’héritage de Gengis Khan », actuellement à New York, déchaîne les foudres des plus grands experts de la période, qui regrettent que les responsables de l’exposition n’aient pas mieux mis en valeur les objets exceptionnels prêtés par les archéologues chinois.

NEW YORK - C’est un véritable torrent de critiques qui s’abat en ce moment, dans le milieu de l’art chinois, sur l’exposition "Derrière la Grande Muraille : l’héritage de Gengis Khan". Actuellement au Musée d’histoire naturelle de New York, elle présente les pièces les plus remarquables du Musée de Houhehot, la Mongolie-Intérieure autorisant pour la première fois la sortie de deux cents objets exceptionnels, présentés précédemment au Musée d’histoire naturelle de Los Angeles. Des découvertes archéologiques considérables ont été faites récemment en Mongolie -Intérieure, où de nombreuses fouilles sont en cours.

Cette région prospère a, depuis la plus haute antiquité, été un lieu d’échanges et de commerce. L’exposition retrace les principales périodes de l’histoire de la Mongolie depuis le IIe siècle av. J.-C. jusqu’au règne de Kubla Khan, petit-fils de Genghis Khan, à la fin du XIIIe siècle. Les objets présentés – vases de bronze, armes, porcelaines blanc bleu, sculptures, témoignent de la vie quotidienne de ces peuples et des nombreux échanges de biens et de techniques qui firent la prospérité de la Mongolie.

L’exposition a été organisée par le Dr. Adam Kessler, archéologue disciple du célèbre Lee Yukuan, marchand d’art chinois à Los Angeles. Le Dr. Kessler étant également l’unique auteur du catalogue, on peut en déduire que les théories présentées sont les siennes, car aucun autre expert ne semble l’avoir relu.

Le rôle d’un groupe d’archéologues et de spécialistes chinois qui, selon le témoignage d’un archéologue mongol, Nasanbuke Hoshut, aurait participé à l’élaboration de l’exposition, n’est nullement mentionné. L’une des affirmations de Kessler irrite les spécialistes de céramique chinoise : Kessler tente de modifier la datation de la porcelaine blanc bleu de la dynastie Yuan (1279-1368), pour la faire remonter au XIIe siècle, époque de la dynastie Song du Sud (1127-1279).

Cette théorie est loin d’être révolutionnaire : au contraire, elle passe même pour être une vieille ruse chinoise visant à situer cette porcelaine admirable à une époque sous domination chinoise plutôt qu’étrangère. Lee Yukuan était l’un des défenseurs de cette théorie qui ne peut, à ce jour, être soutenue sérieusement. Aussi ce point du catalogue soulève-t-il des commentaires acerbes, l’un des meilleurs experts américains (qui tient à garder l’anonymat), le qualifiant de "superbe idiotie".

Une présentation affligeante selon les experts
James Lally, le plus grand marchand d’art chinois à New York, juge sévèrement les théories de Kessler : "Il semble évident que bien des céramiques présentées dans ce catalogue sont semblables à des pièces fort connues et précisément datées conservées dans des musées. Or, le Dr. Kessler les fait remonter à plus de cent années en arrière, en se basant sur des critères plus que légers."

James Lally estime que les thèses avancées par l’exposition n’auront pas de répercussions, tant dans le milieu scientifique que sur le marché de l’art chinois ; par contre, il juge préoccupant le fait qu’un musée non spécialisé dans l’art, tel que le Musée d’histoire naturelle de New York, ait pu permettre à un chercheur, non reconnu comme un expert dans ce domaine, de monter une exposition de cette ampleur.

M. Giuseppe Eskenazi, l’un des plus grands négociants en art oriental à Londres, estime pour sa part que le Dr. Kessler a fait preuve d’une démarche incompréhensible, puisque des découvertes archéologiques récentes, résultant de l’étude de tessons retrouvés dans des fours à céramique, suffisent à réduire à néant son argumentation.

Emma Bunker, du département d’art asiatique du Musée d’art de Denver, nous a fait parvenir quatre pages de critiques précises concernant plusieurs points du catalogue, et conclut par ces mots : "Ce catalogue est une véritable source d’embarras pour l’ensemble des spécialistes américains... Aucun musée digne de ce nom n’aurait dû en autoriser la publication. Non seulement ce catalogue représente une insulte pour ses lecteurs, mais il risque de compromettre des projets de co-éditions avec la Chine.

Ce qui s’est passé est dramatique pour le Musée chinois de Mongolie-Intérieure de Houhehot qui a envoyé un choix extraordinaire d’objets auxquels l’exposition ne rend absolument pas justice. J’ai visité ce musée : il possède une superbe collection et un personnel très érudit. Cette affaire devrait servir de leçon à tous les musées non spécialisés en art, et devrait les convaincre de faire examiner les publications artistiques qu’ils subventionnent par des experts."

"Empires Beyond the Great Wall : the Heritage of Genghis Khan" (Derrière la Grande Muraille : l’héritage de Gengis Khan), New York, American Museum of Natural History, jusqu’au 27 novembre, puis au Tennessee State Museum et, en 1995, au Royal British Columbia Museum.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : "L’héritage de Gengis Khan" sous le feu des critiques

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