Le livre d’art à l’heure du zapping

Les collections à prix réduits redéfinissent le marché

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1994 - 738 mots

Le livre d’art connaît, depuis quelques années, une crise structurelle : concurrence des institutions, concentration de la production, essoufflement des coéditions internationales créent un contexte défavorable, que l’apparition du CD-Rom bouleverse plus profondément encore. Multipliant les initiatives, Taschen, Terrail, Le Livre de Poche, Flammarion, le Cercle d’Art, parmi d’autres, tentent de relever le défi.

PARIS - Au règne sans partage du "coffee-table book", qui était un temps devenu la vache à lait de l’édition, succède peut-être une nouvelle période au cours de laquelle le livre d’art pourrait bien descendre définitivement de son piédestal. Si Benedikt Taschen, le premier, a anticipé le mouvement, produisant sans partenaires des milliers d’exemplaires en plusieurs langues et imposant aux libraires une diffusion sans possibilité de retour – paris risqués, seuls à même de réduire les coûts – les éditeurs français développent des stratégies plus nuancées.

Filiale du groupe Bayard Presse, les éditions Terrail suivent, depuis quatre ans, une politique qui n’est guère éloignée de celle de l’éditeur allemand, avec l’ambition de constituer un véritable fonds d’ouvrages à bon marché (119 F), dont la qualité se veut irréprochable.

Après Modigliani, les Villas et jardins de Toscane, les Fauves, Rodin ou Gauguin, un livre de Jean-Claude Frère sur Léonard de Vinci et un ouvrage de Laure Meyer consacré aux Objets africains s’ajoutent à une programmation où tous les sujets ne sont pas aussi attendus. On se félicite, chez Bayard, de l’excellente image de marque de la collection auprès des libraires et du public.

L’extension des "Encyclopédies d’aujourd’hui" du Livre de Poche à l’art ouvre une autre brèche dans le marché traditionnel. Ces synthèses des grandes périodes de l’art, dont l’ambition scientifique et universitaire est dûment affichée, visent un public plus studieux qui ne reculera pas devant un prix légèrement supérieur (149 F). Le succès de l’une et l’autre initiatives passe par la fidélisation du lecteur, dont le principe de la collection est le meilleur garant.

Questions de diffusion
Car, à l’heure où la diffusion subit elle aussi une évolution irréversible, le principe semble devoir jouer un rôle de plus en plus important dans le destin du livre d’art, en lui permettant notamment de ne pas disparaître des librairies ou des supermarchés aussitôt que telle ou telle exposition ou les fêtes de Noël sont passées. Fort de l’expérience de "Tout l’œuvre peint", Flammarion lance cet automne deux collections aux ambitions bien distinctes.

La première, intitulée "Tout l’art", se décline selon divers points de vue (contexte, histoire, monographie, encyclopédie) et ambitionne, comme son nom l’indique, de constituer un ensemble cohérent et continu qui devrait peu à peu couvrir l’histoire, des origines à nos jours. Si l’enseignement de l’art dans les lycées et les collèges ne reste pas un vœu pieux, ces manuels devraient y trouver naturellement leur emploi.

Avec les "ABCdaires", le même éditeur s’attaque à un autre secteur du marché, celui, extrêmement prisé, qui est directement porté par les expositions. Depuis quelques années, les hors-séries des magazines spécialisés occupent avec profit le terrain, proposant une alternative peu onéreuse au catalogue. Si le prix de vente des "ABCdaires" est légèrement plus élevé (59 F), ils offrent l’avantage de pouvoir constituer une véritable bibliothèque. De plus, leur format maniable et une maquette sobre et efficace leur confèrent également une vocation de guide sur les lieux mêmes de la visite. Poussin, Caillebotte et Delacroix sont les premières opportunités, qui augurent bien de l’avenir de la collection puisque près de 30 000 exemplaires de chaque titre se sont vendus en un mois.

L’économie et l’âme du livre
Négligé par la plupart des éditeurs en raison de sa rentabilité problématique, l’art moderne n’échappe pourtant pas à cette tendance du livre peu cher. Le Cercle d’art qui, depuis quelques années, a mis en œuvre une politique volontariste en direction des libraires, lance une nouvelle collection intitulée "Découvrons l’art du 20e siècle". Elle se propose de donner les clefs essentielles à la compréhension de l’art moderne. Ces livres ont la particularité de n’être pas signés, puisqu’ils sont le fruit d’un comité de rédaction réunissant historiens, critiques d’art, conservateurs et documentalistes. Le prix de 69 francs devrait naturellement constituer un atout majeur pour ces albums. Matisse, Dali, Kandinsky, Magritte, Bacon, Miró ouvrent la série.

On y découvrira prochainement des monographies consacrées à Warhol, Tapiés, Braque ou encore Chagall. Disponible pour tous les budgets, le livre d’art devrait sans doute pouvoir garder sa place face aux sirènes du multimédia, à condition qu’il n’y perde pas son âme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Le livre d’art à l’heure du zapping

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