Smoking

Philip Morris menace de retirer son soutien

Le monde de l’art dépend des largesses de ce grand mécène

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1994 - 727 mots

Philip Morris est un mécène omniprésent dans les manifestations culturelles américaines. De peur de perdre un soutien si généreux, les bénéficiaires se sont mobilisés contre la menace d’une loi proposant d’interdire le tabac dans les lieux publics à New York.

NEW YORK - En trente-cinq ans de mécénat, Philip Morris a financé de grandes opérations, mais le montant des subventions accordées n’est pas publié. Selon Stéphanie Franche, vice-présidente du département des Affaires culturelles de Philip Morris, la compagnie consacre 1 % de ses profits bruts à des œuvres philanthropiques, soit 15 millions de dollars (80 millions de francs) par an.

Les détracteurs de Philip Morris estiment que la société utilise le mécénat afin de s’acheter une certaine légitimité. Lawrence Whippet, auteur d’ouvrages sur l’industrie du tabac, qualifie le mécénat de Philip Morris de technique pour "améliorer son image", la publicité traditionnelle n’étant pas suffisante pour l’industrie du tabac. "Ils doivent trouver d’autres façons de renforcer leur crédibilité, dit-il. à chaque fois qu’ils donnent de l’argent, et que ces fonds sont acceptés par un musée ou une université, l’impact en retour sur l’image de l’entreprise est excellent".

La compagnie accorde son soutien à l’œuvre des artistes noirs ou latino-américains, tels que Lawrence, Pippin et Frida Kahlo parmi bien d’autres. Des chercheurs constatent que le nombre de fumeurs noirs américains est élevé par rapport au reste de la population et qualifient cette stratégie de "commercialisation ciblée". Lorsque la société a financé, en 1992, "Le Miracle Grec" – des statues prêtées par les musées grecs à la National Gallery of Art de Washington –, il était sous-entendu que la liberté de fumer avait ses racines dans la démocratie athénienne.

La "loi pour une atmosphère sans tabac" (The Smoke Free Air Act), actuellement en discussion au conseil municipal de New York, vise à interdire de fumer dans les lieux publics "afin de protéger les non-fumeurs des dangers du tabagisme passif". Le conseil étendrait l’interdiction de fumer aux lieux clos (restaurants, musées, salles de spectacle …) et en plein air. Cette loi pourrait avoir de graves conséquences pour Philip Morris et pour le monde de l’art. En effet, depuis 1965, date de la première exposition "Pop and Op" au Musée d’art moderne, subventionnée par Philip Morris, aucun organisme, musée ou institution n’a refusé l’aide financière de la firme, qui rejette chaque année de nombreuses demandes.

La une du New York Times
Philip Morris a prévenu la mairie de New York que la compagnie mettrait fin à son mécénat artistique – plusieurs millions de dollars par an –, si cette loi passait. En septembre, la société a entamé une campagne téléphonique pour demander aux musées et institutions, bénéficiaires de ses subventions, de rappeler à la municipalité l’importance des sommes versées. Une rumeur circula, selon laquelle la compagnie quitterait New York si la loi était votée sous sa forme actuelle.

En octobre, cette nouvelle fit la une du New York Times. Le quotidien, qui tentait de recueillir les réactions du milieu de l’art face aux pratiques de Philip Morris, découvrit que les responsables des institutions étaient peu désireux de témoigner. William Luers, président du Metropolitan Museum of Art, a été officieusement prié de rendre compte à la municipalité du montant du soutien que Philip Morris lui apportait.

"Philip Morris n’a fait aucune pression sur le Whitney Museum pour le pousser à établir des contacts en son nom avec la municipalité", a déclaré de son côté David Ross, directeur du musée. La firme subventionne une antenne du Whitney, installée dans les locaux de son siège, et le conseil d’administration du musée comporte un représentant de Philip Morris. Il en va de même pour le Studio Museum de Harlem, le Musée américain d’histoire naturelle, l’Opéra de New York, l’Académie de musique de Brooklyn, la Compagnie de danse Alvin Ailey et, jusqu’à une date récente, le Centre Lincoln.

Voilà qui en dit long sur les liens qui sous-tendent les relations entre le milieu de l’art et le monde des affaires, et sur l’obligation qu’ont les institutions artistiques de défendre les intérêts de ceux qui les subventionnent.

Bien que probablement peu sensible aux pressions de Philip Morris, le Comité municipal pour la santé travaille en ce moment à une révision de la loi afin de limiter l’interdiction de fumer aux restaurants. Le conseil municipal de New York devrait parvenir à un texte définitif avant la fin de l’année.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Philip Morris menace de retirer son soutien

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