Design

Le tour de la terre

Refroidissement

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2010 - 683 mots

Connaissez-vous l’Evaporative Cooling ou, en français, le rafraîchissement naturel ? Ce procédé existe depuis la nuit des temps, en particulier dans les pays chauds et arides. Il consiste à refroidir un liquide ou des aliments, d’abord en les disposant dans un pot en terre poreuse préalablement trempé dans l’eau, puis en plaçant ledit pot dans une atmosphère sèche et ventilée.

L’eau alors contenue dans la paroi de terre s’évapore, faisant petit à petit descendre la température intérieure du pot de plusieurs degrés. Le principe est élémentaire et ne nécessite, on l’aura compris, aucun apport d’énergie quelle qu’elle soit. D’où cette utilisation ancestrale. Des archéologues ont ainsi jadis retrouvé, dans la ville de Qena, en Haute-Égypte, tout un attirail de contenants « rafraîchissants » en argile datant de quelque… trois millénaires.

Sur ce même principe, le duo de designers Normal Studio – Eloi Chafaï, 31 ans, et Jean-François Dingjian, 44 ans – vient de revisiter, pour la firme française Eno, deux objets traditionnels en terra cotta, ou terre cuite : la brique à vin et la carafe basque (1). Tous deux ont été fabriqués par Jean-Paul Aiello, potier à La Penne-sur-Huveaune (Bouches-du-Rhône). Le premier objet, la brique à vin, reste, somme toute, classique, n’était-ce sa forme qui consiste en un cylindre de terre cuite au col légèrement évasé, muni d’un bouchon de liège permettant d’isoler thermiquement la dive bouteille.

En été, il suffit donc, avant utilisation, de tremper quelques minutes la « brique » dans l’eau fraîche, puis de la laisser un moment à l’air libre, avec la bouteille dedans. La chaleur extérieure provoque alors comme une « transpiration » de la terre poreuse, laissant, par la même occasion, s’échapper les calories. « Cela fonctionne exactement comme le corps humain, observe Jean-François Dingjian. En cas de forte chaleur, nous transpirons. Or, lorsque l’eau contenue dans la peau s’échappe à travers les pores, c’est précisément pour faire descendre la température intérieure de notre corps. »

Procédés antinomiques
Plus singulier est le second objet : la carafe basque. Il mêle, en effet, deux procédés réputés antinomiques : l’un manuel et ancestral, l’autre technologique. Dans un premier temps, le potier façonne le cylindre de terre sur son tour. Puis, pour créer à la fois un goulot et une poignée, il écrase en partie le col avec, cette fois, un outil industriel : des plaques usinées par fraisage numérique. Ces dernières laissent une empreinte qui peut varier selon le motif du fraisage. « Notre travail est articulé autour de l’observation des procédés de fabrication et de la qualité que ces procédés peuvent générer, expliquent Eloi Chafaï et Jean-François Dingjian.

Il nous importe de détourner des procédés industriels vers le domestique. » Ce discret apport de technologie de pointe dans le travail d’un matériau rudimentaire est du plus bel effet. Seul bémol : le commanditaire, frileux ou davantage terre à terre commercialement parlant, a préféré assurer le coup en faisant émailler l’intérieur de ladite carafe, rendant caduc ce procédé magique du « rafraîchissement naturel ». Dommage !

Quoi qu’il en soit, l’idée de produire du froid de manière passive passionne Normal Studio. Le duo réfléchit d’ailleurs à un nouvel objet sur le principe du rafraîchisseur « Pot-in-Pot » ou « Zeer Pot », du nom de son inventeur, le Nigérian Mohammed Bah Abba. Il consiste en un pot de terre glissé dans un autre pot plus grand. L’interstice entre les deux contenants est rempli de sable que l’on humidifie régulièrement et le tout est recouvert d’un linge également mouillé. Dans un espace sec et ventilé, l’eau s’évapore et refroidit l’intérieur du pot de terre le plus petit, permettant ainsi d’allonger considérablement la durée de conservation de l’eau ou de la nourriture, dans des climats chauds et secs. La terra cotta n’est pas incognita.

(1) Nouvelles entrées dans la collection Eno 2010, la brique à vin Fresh et la carafe basque Fresh coûtent respectivement 58 et 65 euros. À noter l’exposition « Normal Studio, design élémentaire », qui se déroule jusqu’au 15 août au Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : Le tour de la terre

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