Bruxelles : matière, figure, silence

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 667 mots

À partir du 14 janvier, Serge Goyens de Heusch prête les cimaises de sa fondation bruxelloise aux bois totémisés d’André Willequet.

Le sculpteur expose un vaste ensemble de figures emblématiques, dont la silhouette reste un hommage à la forêt séculaire, mais dont le travail d’affleurement rend compte d’une sensualité qui libère de l’écorce un incarnat d’ombre et de lumière. Les pleins se contractent dans l’espace, les vides se déploient dans la matière. Le sculpteur se révèle aussi dans le travail du trait qui hante la feuille. Dessins et lithographie témoignent d’une même vision dans la lumière du trait et la noirceur des lumières.

Michael Irmer avait exposé chez Lanzenberg ses recherches sculpturales marquées par l’écrasement de la plastique sous la pression de l’espace. Les figures monolithiques semblaient prisonnières du vide qui les comprimaient.

Le même univers apparaît dans les peintures présentées, toujours chez Lanzenberg, jusqu’au 7 janvier. Irmer reste fidèle à sa sensibilité aux matières contrariées. On sent la puissance contenue qui interdit aux formes toute expansion hors de ce graphisme hésitant et meurtri, qui témoigne de la condition humaine.

Le travail du bois trouve une résonance moderne dans le travail de Robin Vokaer, jeune sculpteur de 27 ans, qui expose chez Pierre Hallet jusqu’en ce début d’année. Ici, la pierre et le bois entament un dialogue en puissance, qui cherche moins l’inscription dans l’espace que la présence monumentale dans le lieu. La cité apparaît comme le point de convergence d’une recherche qui aime à plier les matériaux à un désir qui est autant idée que sensation.

Chez Xavier Hufkens (jusqu’au 7 janvier), Jan van Oost définit la figure dans l’enfermement de la forme qui n’échappe à aucun moment à cette maîtrise de la silhouette comme chiffre ambigu. Partant de moulages de corps, le sculpteur élimine toute possibilité d’échappée pour souligner que la sculpture reste un geste mortifère à l’égard de la réalité. 

La mise en retrait apparaît aussi dans le travail de la mémoire que Christian Boltanski met en scène jusqu’au 4 février chez Marie Puck Broodthaers. Les collages réunis sous le titre Réserve font appel au souvenir pour aviver une présence humaine qui fait de la galerie un espace rituel marqué par l’obsession du temps qui fuit.

Chaque œuvre renvoie à la multitude des existences passées.
On retrouve la même mise en abîme dans l’œuvre de Vladimir Yankelevski, que Ruben Forni expose jusqu’au 14 janvier. Les conditions de liquéfaction sociale qui emporte le monde russe trouvent ici un écho singulier dans la multiplication de figures cloîtrées évoquant l’asphyxie d’un imaginaire prisonnier du quotidien.

Si le graphisme témoigne d’une fragilité face au devenir, la facture lisse de Camille De Taeye témoigne de ce que l’hyperréalisme ne renonce pas à une dimension symbolique et morbide. L’exposition organisée à la galerie Quadri jusqu’au 15 janvier, retrace le parcours de cet artiste insolite, compagnon de Cobra, adepte du Pop art et qui expé­rimenta les limites du possible dans un kitsch aux dimensions oniriques et critiques.

Willy d’Huysser présente jusqu’à la mi-février les travaux récents de Christine Nicaise, dont les compositions aux saveurs matiérées se laissent parcourir par des signes graphiques qui cherchent à faire texte sans imposer d’autre sens que l’éclat du geste, précis et concentré, qui traverse l’espace. L’écriture est dense. Elle porte sa signification au-delà du sens, dans la présence trouble d’une matière qui vibre.

À Anvers, Vic Gentils déploie à ‘t Elzenveld son univers baroque né d’objets réinvestis, pour rendre hommage à la tradition belge du XVIIIe siècle. Les formes du quotidien – cuillères, formes à chaussures, masques à chapeaux… – se métamorphosent en formes qui deviennent figures. L’exposition témoigne de la palette étendue que l’artiste expérimente sans renoncer à son projet initial : formuler une autre réalité à partir de formes détournées de leur perception conventionnelle.

Pour clore, signalons à Lokeren, chez De Vuyst, une présentation de sculpteurs belges contemporains qui, jusqu’au 6 février, offre un aperçu de la diversité des styles et des démarches qui sont autant de dialogues avec la matière et l’espace.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Bruxelles : matière, figure, silence

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