Lyon

L’art contemporain dans les fleurs et la fourrure

Les nouveaux avatars de la vente

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 708 mots

De la synergie commerciale au mécénat intéressé, de nouvelles techniques de vente s’élaborent pour faire face à la faiblesse du marché de l’art contemporain en province. Elles entendent mettre fin au dépouillement monacal des galeries mais aussi conserver, et parfois même utiliser, l’image \"haut de gamme\" de l’art.

LYON - Le négoce de l’art contemporain est-il définitivement voué à l’échec en province ? Ce fatalisme semble en régression à Lyon, comme en témoignent plusieurs expériences de renouvellement des pratiques commerciales. "L’accueil et le confort, voilà ce qui manque aux galeries traditionnelles", explique Perrine Camus, restauratrice de tableaux.

Misant sur sa personnalité chaleureuse, elle a installé une boutique d’objets et de peinture dans la continuité de son atelier (Passage privé, rue Sala, Lyon 2e) : "Les gens savent que j’aime les beaux tableaux puisque je les restaure. Ils apprécient également mon goût à travers les objets de décoration que j’expose. Alors la peinture d’aujourd’hui trouve tout naturellement sa place dans ma boutique". De fait, s’il n’est pas question de voir chez elle les plasticiens contemporains les plus novateurs, elle propose néanmoins de bons artistes, choisis "sur un coup de cœur".

Tablant sur une même synergie, Philippe Joannard, propriétaire de la prestigieuse maison de fourrure du même nom (place Bellecour, Lyon 2e), estime que "l’art est une diversification logique pour son activité". Mais plutôt que d’ouvrir une galerie au sens propre, il a fait de sa boutique "un grand appartement décoré", avec meubles sur roulettes et cimaises amovibles pour créer une ambiance "luxueuse et familière".

"La cliente voit l’œuvre comme elle la verrait chez elle", se réjouit-il. Par ailleurs, la technique de vente elle même évolue : "Je dialogue avec mes clients alors que dans une galerie, on est toujours reçu comme un chien dans un jeu de quilles". Une diversification on ne peut plus réussie puisque trente toiles de l’artiste tchèque Bedriska Uzdilova ont été vendues en un mois. Philippe Joannard ne propose pas davantage d’artistes "révolutionnaires". Il peut les choisir plus librement qu’une galerie qui est, elle, soumise à un impératif de rentabilité plus immédiat.

"Composer un bouquet, c’est comme composer une toile"
Mais l’art contemporain peut aussi valoriser des activités parallèles moins prestigieuses. Il ne s’agit pas tant de vendre de l’art que de l’utiliser pour vendre autre chose. Dans ce cas, les expositions, de qualité fort diverse, permettent – sous couvert de mécénat – de rehausser le prestige d’un commerce ordinaire. Ce ressort est exploité par la boutique de meubles contemporains Arrivetz (rue Jarente, Lyon 2e). Pour Jean-Marc Maurice, son directeur, exposer des peintres "donne du prestige aux meubles et un cadre aux tableaux.

C’est une opération de mécénat intéressé, il y a réciprocité entre les deux partenaires". Dans ce cas, l’objectif n’est pas uniquement de vendre les artistes exposés – si l’occasion se présente, l’acheteur sera mis en contact direct avec l’artiste –, mais de tirer vers le haut le design, activité qui a tout à gagner à être assimilée à une pratique artistique reconnue.

Cette mécanique peut être exploitée dans des domaines variés, et parfois fort éloignés de l’art proprement dit. À l’Espace Floral Perraud (place des Terreaux, Lyon 1er), Clément Michal présente de jeunes artistes dans un local contigu à son commerce. "Nos expositions sont le prolongement de notre activité de fleuriste : composer un bouquet, c’est comme composer une toile : il y a des volumes et de la couleur". Cependant, l’absence de sélection des artistes, tout comme la location de l’espace, montrent clairement que les artistes servent le profit d’un commerce qui sera assimilé à une activité de création.

Sur un même principe, les expositions mensuelles de l’Embarcadère (quai Rambaud, Lyon 1er) ont fait de cet espace destiné aux mariages et aux séminaires "un endroit à la mode qui équilibrera bientôt ses comptes", comme l’explique sans ambages son directeur Gilbert Monin. Présentées comme un nouvel espace pour l’art contemporain, les expositions fabriquent en fait l’image de marque d’un lieu plus qu’elles n’assurent réellement la promotion des artistes.

Ces expériences encore balbutiantes, dont il est trop tôt pour dire qu’elles sont une tendance, remettent en cause les méthodes de vente traditionnelles et tendent à démontrer la viabilité d’un secteur qui pâtit certes de la crise, mais aussi du manque d’imagination de ses marchands.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : L’art contemporain dans les fleurs et la fourrure

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