Un rapport sur le mécénat

Clarifier les relations entre l’État et le mécénat

\"Ni nouveaux textes, ni nouvelles procédures, ni structures supplémentaires\"

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 1070 mots

Au moment où le mécénat marque le pas, l’harmonisation de son cadre juridique et fiscal s’impose, selon le rapport que vient de remettre Alain Grangé Cabane, vice-président de l’Union des annonceurs (UDA), au ministre de la Culture et de la Francophonie, Jacques Toubon. Une recommandation qui s’inscrit dans une réflexion générale destinée à populariser le mécénat \"en faisant appel au public le plus large possible\".

PARIS - Après le capitalisme populaire, le temps serait-il au mécénat populaire ? Soucieux de "définir les voies et les moyens de l’impulsion nouvelle à donner au mécénat des particuliers et des entreprises", Jacques Toubon avait chargé, en septembre 1993, Alain Grangé Cabane, en sa double qualité de président de la commission "Création-Diffusion" du Conseil supérieur du mécénat culturel (CSMC) et de président de la commission "Parrainage" de la Chambre de commerce internationale (CCI), de conduire une mission de réflexion qui vient de rendre ses conclusions dans un rapport intitulé "Donner au mécénat un nouvel essor".

À la lecture de celui-ci, "ni nouveaux textes, ni nouvelles procédures, ni structures supplémentaires" ne sont nécessaires à la relance du mécénat. Il convient plutôt de "cerner la réalité du mécénat" et de lui offrir "un cadre réglementaire qui soit simple, incitatif, réaliste et pérenne".

Depuis la première enquête officielle, Le mécénat en France, publiée en 1980 à la demande de Jean-Philippe Lecat, les nombreux rapports qui se sont succédés n’ont fait qu’approfondir le sillon tracé naguère : rejeter la thèse du "tout-État" et résister à la tentation du "tout-Mécénat".

"Savoir-faire" et "Faire-savoir"
Si le mécénat a connu, au cours de ces deux dernières décennies, une "sorte d’explosion", il reste encore "fragile", essentiellement parce qu’on mesure mal son poids et ses effets : "On évalue mal le montant des sommes qui s’y investissent", comme "on n’a aucune idée réelle de leur impact". Dans ces conditions, "peut-on à la fois prétendre encourager le mécénat et se satisfaire de tant d’imprécisions à son propos ?" Améliorer l’appareil statistique qui mesure le mécénat est une priorité, et "cette analyse coût-avantages paraît d’autant plus souhaitable que les moins-values fiscales consenties par l’État en faveur du seul mécénat des particuliers atteignent quelque 3,5 milliards de francs".

Cette ignorance est préjudiciable et ne peut que dissuader la venue de nouveaux mécènes, comme le confirme l’un d’entre eux :"C’est la communication du mécénat qui est à favoriser. Elle ne sera efficace que si les bénéficiaires et les donateurs savent ensemble démontrer publiquement les effets positifs de leurs actions." Paradoxalement, selon un rapport de l’UDA (voir la première partie de notre dossier Mécénat, JdA n° 9, décembre), les entreprises ne consacrent aujourd’hui qu’un franc à faire connaître un événement ("faire-savoir") dont l’organisation ("savoir-faire") leur en a coûté quatre, alors que ce rapport était de un à deux en 1988-1990. Il est vrai qu’entre-temps, la conjoncture économique les a poussées à sacrifier la médiatisation et la valorisation de leurs actions de mécénat à la survie pure et simple de ces dernières.

S’opposant au "perfectionnisme réglementaire", Alain Grangé Cabane insiste sur les nécessaires simplifications et clarifications à apporter au cadre juridique et fiscal, tant la contradiction entre la volonté affichée des gouvernants de promouvoir le mécénat et l’obscurité des mécanismes d’aides est flagrante : "On a le sentiment que l’État, en même temps qu’il édicte des incitations fiscales au mécénat, se garde non seulement de favoriser leur utilisation, mais même de les faire simplement connaître, comme si l’on craignait que cet encouragement au mécénat n’entraînât des moins-values pour le budget – feignant d’oublier que le système a justement été conçu comme cela.

Alors, de deux choses l’une, poursuit Alain Grangé Cabane, soit ces déductions fiscales ont été votées parce que leur rendement social est bon pour la collectivité, et il faut les populariser ; soit elles sont inefficaces et exagérément dispendieuses, et il faut les supprimer."

Le fiasco de la loi de 1990
S’il existe quelques centaines de fondations – et 380 fondations placées sous l’égide de la Fondation de France –, seules 33 fondations d’entreprises ont vu le jour depuis la promulgation de la loi de 1990. Un échec patent, dû à la complexité des textes de loi. À titre de comparaison, il existe 50 000 fondations en Espagne, et au moins autant en Suisse. Les Britanniques disposent, eux, de plus de 100 000 "Charities" et le National Trust (qui, en dépit du terme National, ne reçoit pas de subventions) rassemble plus de deux millions de membres.

Les Américains ont, de leur côté, créé plus de 25 000 fondations, dans un pays où 80 % des financements de la vie artistique émanent des particuliers. L’histoire, les mécanismes fiscaux et les comportements ne sont pas les mêmes, "l’exemple des États-Unis mérite d’être déchiffré avec plus de nuances", car "l’application d’une dérive ultra-libérale serait extrêmement dommageable pour la France" assure Alain Grangé Cabane, mais il n’empêche, le modèle anglo-saxon est dans toutes les têtes, "à nous de l’adapter, de le naturaliser".

"En vérité, l’État ne doit ni abdiquer, ni régenter, mais rechercher une coopération optimale entre l’action publique et l’initiative privée.", conclut-il. Une complémentarité qui pourrait, selon le rapport, s’inspirer des "matching grants", "ces financement croisés mis en place de longue date aux États-Unis, puis en Grande-Bretagne".

Les "matching grants"
Cet exemple avait précisément motivé l’arrêté du 27 mars 1990, chargeant le CSMC de mettre en œuvre "une procédure relative à la politique de financement conjoint, associant des fonds publics et des fonds privés". Mais depuis l’abandon, en 1993, de cette procédure de cofinancement, jugée juridiquement contestable et trop coûteuse par la Cour des comptes, "le CSMC n’a plus aucune raison d’être", déclare un de ses membres.

La récente création d’un Fonds d’innovation culturelle (FIC) – auquel le CSMC devrait être associé "pour ce qui concerne les projets susceptibles d’être complétés par des financements privés", selon le ministre de la Culture –, pourrait augurer d’un renouveau des financements croisés, mais en suivant un processus inverse : au lieu de distribuer l’argent de l’État, le CSMC serait chargé de trouver des fonds privés pour compléter le financement de projets soutenus par l’État.

Le rapport suggère enfin de tirer parti du retard mis à créer le Conseil national des fondations pour le transformer en Conseil national du mécénat, chargé de veiller à "la cohérence et à la continuité d’une politique générale d’encouragement au mécénat". Néanmoins, afin d’éviter de faire double emploi avec le CSMC, une autre solution consisterait à rapprocher ces deux institutions.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Clarifier les relations entre l’État et le mécénat

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