Istanbul

Un chef-d’œuvre de l’art byzantin en péril

John Julius Norwich, spécialiste de Byzance, lance un appel

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 504 mots

Le tourisme met en danger les mosaïques et les fresques de l’église Saint-Sauveur-in-Chora d’Istanbul, contemporaines des
fresques de Giotto.

ISTANBUL - Tout visiteur d’Istanbul a entendu parler de la petite église byzantine de Saint-Sauveur-in-Chora, plus connue aujourd’hui sous le nom turc de Kahriye Camii.
 
Cette église, qui se trouvait à l’origine à l’extérieur de la muraille qui protégeait Constantinople, fut édifiée de 1077 à 1081 par Maria Doukas. Deux siècles plus tard, Théodore Métochite – grand chancelier du trésor d’Andronic II, paléologue et protecteur des arts –, ordonna des travaux et la fit décorer de précieuses mosaïques. La nef de l’église est flanquée, à droite, d’un paracclésion  –  une chapelle funéraire –, que Métochite fit orner de fresques dans les années 1320-1321.

Les peintures sous la voûte de l’abside de cette chapelle comptent parmi les plus remarquables chefs-d’œuvre de l’art byzantin. Les sujets traitent de la Résurrection, en grec Anastasis. Cette Anastase est peinte à fresque sous la voûte de l’abside : sur fond de ciel d’un noir velouté, au centre le Christ debout, dans une mandorle arc-en-ciel constellée. Il se penche et arrache de ses mains puissantes Adam et Ève à leurs tombeaux. Derrière Adam, se tiennent saint Jean-Baptiste, David et Salomon, suivis d’un groupe de rois, et sur la gauche, derrière Ève, Abel, appuyé sur une crosse, précède un groupe de justes.

Le Christ vient de renverser les portes de l’Enfer ; sous ses pieds, on reconnaît les verrous, gonds, chaînes et fers brisés. L’ensemble ne mesure que quelques mètres de long, mais il a, pour moi, une intensité rarement égalée.

Si l’on cherche une œuvre d’art byzantine comparable à la chapelle Sixtine, c’est celle-ci qui vient en premier lieu à l’esprit.
Les deux monuments ont, hélas, un autre point commun : Saint-Sauveur reçoit moins de visiteurs que la chapelle Sixtine, mais les autocars y déversent le même flot ininterrompu de touristes, six jours par semaine, durant plusieurs heures d’affilée.

Les fresques, dont certaines ne sont pas loin d’égaler l’Anastase en qualité, sont situées, dans la zone inférieure, à moins d’un mètre des visiteurs. Lorsque je m’y trouvais la dernière fois, l’air était chaud et l’atmosphère humide. On sait aujourd’hui qu’aucune fresque ne peut survivre longtemps dans de telles conditions.

Les autorités turques ont, semble-t-il, conscience du danger et de la nécessité de prendre rapidement des mesures de protection. Elles hésitent toutefois sur la forme à donner à une telle action.

Suffit-il d’installer un système de ventilation perfectionné, qui remplacerait l’air saturé d’humidité par de l’air frais et sec ? Faut-il limiter le nombre des visiteurs à cent, voire cinquante par jour ? Ou faut-il adopter une solution du type Lascaux, interdire l’accès du parecclésion au grand public et ne plus admettre que les chercheurs qui auront fait une demande préalable ? N’étant pas un expert, je ne puis trancher. Cependant, je suis persuadé d’une chose, c’est que si l’on ne trouve pas d’ici peu une solution, le monde perdra l’un des plus grands trésors artistiques qu’ait inspiré la foi chrétienne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Un chef-d’œuvre de l’art byzantin en péril

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