Ventes aux enchères

New York

La vente Noureev double ses estimations

Cinquante mille personnes ont visité l’exposition avant la vente

Par Edward Lewine · Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 944 mots

Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette vente aux enchères plus qu’une simple vente d’objets : la célébrité de l’artiste, une publicité envahissante, des intrigues et… juste ce qu’il faut d’humour.

NEW YORK - Les trois vacations de la vente Christie’s, sobrement intitulée"Noureev", les 12 et 13 janvier, ont produit 7 945 910 dollars (43,3 millions de francs), contre une estimation initiale comprise entre 3 300 000 à 4 800 000 dollars (18 à 26 millions de francs). La totalité des lots a trouvé acquéreur. Hasard ou calcul, la vente a commencé le jour du second anniversaire de la mort du célèbre danseur, décédé à l’âge de 54 ans. On y a dispersé le contenu entier de son appartement de New York, situé dans le fameux Dakota Building.

L’année dernière, Christie’s prévoyait d’organiser deux ventes, l’une à Paris et l’autre à New York. La vente parisienne a dû être suspendue après que la sœur de Noureev, Rosa Nereiva, et sa nièce eurent contesté son testament. Noureev a légué à la Ballet Foun­dation, dont le siège est à Zurich, ses biens situés en Europe, les droits sur ses chorégraphies et sur le label Rudolf Noureev.

D’après les superbes photographies qui ornaient la couverture du catalogue, il semble que le danseur ait acheté les objets davantage pour leur effet dramatique que pour leur qualité. Beaucoup avaient bonne allure de loin, mais leur examen se révélait assez décevant.

Il reste que les 133 toiles de maîtres anciens dispersées le second jour ont constitué le grand succès de la vente, rapportant à elles seules 4,4 millions de dollars (24 millions de francs). Parmi elles figuraient quelques pièces exceptionnelles. Un Portrait de Lord de Forrars (1773) par Sir Joshua Reynolds est parti, sur enchère téléphonique d’un collectionneur privé, pour 772 500 dollars

(4,2 millions de francs). Satan tressaillant sous la lance d’Ithuriel, une magistrale composition de Füssli, dans un état de conservation exceptionnel, aurait été acheté 761 500 dollars (4,1 millions de francs) par un musée américain, et La Sagesse défendant la Jeunesse contre l’Amour, une allégorie de Charles Meynier, a rapporté 486 500 dollars (2,6 millions de francs). Malgré ce succès, les marchands de tableaux des deux côtés de l’Atlantique étaient très mécontents que Christie’s ait indiqué dans le catalogue les prix payés par Noureev, à côté des estimations actuelles, nettement inférieures. Par exemple, selon Christie’s, le Meynier aurait été acheté en 1983 chez Sotheby’s Londres pour 35 000 dollars (190 000 francs), et vendu à Noureev en 1984 par Stair Sainty Matthiesen pour 135 000 dollars (735 000 francs). L’estimation, en 1995, n’était que de 120 000 à 180 000 dollars.

Plusieurs spécialistes ont fait remarquer que les prix payés par Noureev voici quelques années ne faisaient que refléter les fluctuations du marché de l’art. En fin de compte, les prix élevés atteints par ces tableaux semblent justifier ceux qu’il avait payés mais, comme le faisait observer un marchand mécontent,"le catalogue est le document qui fait autorité", quels que soient les prix réellement atteints."Cela n’a pas été fait pour déranger qui que ce fût", répondait Anthony Crichton-Stuart, de Christie’s,"mais simplement comme une tactique de marché, qui semble avoir fonctionné", avant d’ajouter toutefois qu’il ne procéderait plus de cette façon à l’avenir pour les tableaux.

Des sommes impressionnantes ont également été atteintes dans les autres sections de la vente. Une des deux seules antiquités du groupe – un torse de marbre romain du Ier siècle, copié d’après le Diadumène de Polyclète – estimée 300 000 à 500 000 dollars (1,6 à 2,7 millions de francs), est partie à 310 500 dollars (1,8 million de francs), un prix record pour une sculpture romaine.

Un extravagant chandelier en verre de Murano, de style rococo, a atteint 338 000 dollars (1,9 million de francs), contre une estimation initiale de 25 000 à 35 000 dollars. Un cadre de lit à baldaquin élisabéthain en chêne, surchargé de sculptures et de marqueterie, a atteint 255 500 dollars (1,4 million de francs), bien au-delà de l’estimation initiale comprise entre 15 000 et 20 000 dollars (80 à 110 000 francs).

Lors de la vente des"memorabilia", jeudi soir, réservée essentiellement aux costumes de scène et aux pointes, les balletomanes s’en sont donné à cœur joie. Ils ont commencé par attendre trois heures avant la vente, dans une longue file qui s’étirait le long de la 59e Rue. Au milieu d’un tumulte de cris, de larmes et de longs applaudissements, des gens qui n’avaient jamais participé à une vente aux enchères ont payé des sommes folles simplement pour posséder une relique de la star.

Un costume pour le rôle du prince Albert, dans Giselle, dansé par Noureev en 1960 avec sa partenaire la plus connue, Margot Fonteyn, a été le clou de la soirée : il a été vendu 51 750 dollars (282 000 francs), contre une estimation initiale de 3 000 à 5 000 dollars (16 à 27 000 francs).

Onze des costumes de scène ont été retirés de la vente pour être offerts aux archives du London’s Royal Ballet. Le reste des sommes recueillies ira aux fondations que Noureev a créées avant sa mort : la Rudolph Nureyev Dance Foun­dation à Chicago, et la Ballet Promotion Foundation au Lich­tenstein. Enfin, ce fut le tour des fameux chaussons de danse (si prisés par Noureev qu’il ne les avait jamais jetés). Lorsque le commissaire-priseur a ouvert les enchères, pour le premier lot, à 1 000 dollars (5 500 francs), contre une estimation de 150 à 200 dollars (800 à 1 100 francs), un brouhaha réprobateur s’est fait entendre. Pourtant, certains chaussons, gravés au nom du danseur, ont atteint 8 000 dollars (44 000 francs).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : La vente Noureev double ses estimations

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