Plaidoyers pour un art belge

La peinture belge pour elle-même

Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 645 mots

Depuis 1830, l’histoire de l’art en Belgique est interprétée en termes d’identité nationale ou vécue en réaction à un provincialisme coloré de \"belgitude\". Ces sentiments complexes déterminent encore certains partis pris. Deux ouvrages récemment publiés – ou réédités – permettent de faire le point.

Le livre de Michael Palmer a le mérite de se dégager de ces visions partisanes et d’affronter la peinture belge pour elle-même. L’auteur, un haut fonctionnaire britannique du Parlement européen de Luxembourg, livre un texte enjoué, passionné, parfois décapant tant il refuse, à juste titre, de suivre des chemins entendus quoique mal balisés. Parcourant la peinture et la sculpture belges des années 1880 à 1940, l’auteur entend cerner un art dont la spécificité se démarquerait de Paris et des influences extérieures.

La qualité fondamentale de l’ouvrage tient dans l’esprit critique a priori défendu. Palmer a raison de récuser des appellations comme "Impressionnisme" ou "Fauvisme", qui ne se justifient pas historiquement ni esthétiquement et qui, en fin de compte, réduisent des artistes originaux comme Vogels, Ensor ou Wouters à un statut d’épigones. Ces étiquettes relèvent d’une logique commerciale qu’éditeurs, marchands et commissaires d’exposition ont mis en place. À ce titre, le travail de Palmer est salutaire.

On regrettera néanmoins le schéma biographique adopté. La succession d’artistes proposée prive le lecteur d’une évolution qui donne précisément à l’art belge sa qualité et son originalité en regard de mouvements comme l’Expres­sionnisme ou le Surréalisme. L’auteur reste tributaire d’une "critique du goût" largement obsolète et souvent mal informée. Les erreurs abondent, au même titre que les visions simplificatrices – les cas du Cubisme et du Constructivisme sont exemplaires – qui faussent le propos. Ces faiblesses manifestes sont en partie contrebalancées par l’iconographie. Optant pour l’originalité, l’auteur a orienté ses choix vers des collections privées ou des institutions publiques moins fréquentées. Le lecteur ne retrouvera sans doute pas les œuvres majeures, mais il découvrira nombre de toiles et de dessins peu connus qu’une mise en page terne ne met pas suffisamment en évidence.

La réédition de Du Réalisme au Surréalisme, de Philippe Roberts-Jones, un ouvrage désormais classique dont la première édition date de 1969, offre une approche mieux structurée et davantage argumentée. Revue et élargie, cette édition constitue une initiation à l’art moderne en Belgique depuis le Réalisme.

Affirmer le tempérament
1850 constitue pour l’auteur le point de départ d’une conscience moderne qui s’accompagne, en Belgique, d’un retour à des valeurs identitaires. S’appuyant sur la critique de l’époque, l’auteur en définit les principaux caractères : lyrisme de la brosse, sensualité des effets de matière, relations plus intuitive que réfléchie à l’égard d’une réalité jugée emblématique.

Rops, Khnopff, Ensor, Evenepoel, Wouters, Permeke, Van den Berghe, Magritte et Delvaux témoignent ainsi d’une communauté d’esprit qui fait de l’image un lieu d’interrogation plus que de discours. Au fil des pages, on voit s’esquisser autour des cercles et associations deux attitudes manifestes : d’une part une volonté d’affirmer le "tempérament", comme fondement d’une culture belge, et, d’autre part, le besoin de révéler dans l’image les pièges d’une perception de la réalité qui repose sur le langage. Avec l’Expressionnisme pour horizon, la première aspiration trouve en Flandre sa formulation la plus radicale, alors que la seconde constitue l’épine dorsale d’un Surréalisme essentiellement francophone.

Philippe Roberts-Jones offre une synthèse de l’art en Belgique, né dans le sillage de Courbet mais attaché à respecter ses racines : un mélange de modernité et de traditionalisme. À lire Palmer et Roberts-Jones, l’art belge ne puiserait-il pas sa spécificité dans le doute même qui accompagne son existence ? Le simple fait d’être en cette "terre d’entre-deux" qu’est la Belgique en constituerait ainsi le fondement.

M. Palmer, D’Ensor à Magritte. Art belge 1880-1940, Bruxelles. Éditions Racine, 2 650 FB (445 FF).
Ph. Roberts-Jones, Du Réalisme au Surréalisme. La peinture en Belgique de Joseph Stevens à Paul Delvaux, Bruxelles. Les éditions du GRAM, 1 200 FB (200 FF).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Plaidoyers pour un art belge

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