La Haye

Mondrian, la liberté du geste pictural

Une révision qui s’imposait

Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 709 mots

La rétrospective Mondrian qui se tient à La Haye repose sur un parti pris : affirmer une dimension conceptuelle qui ne renonce à aucun moment à la sensibilité de la peinture. Réinterprétation ou révision ?

LA HAYE - Dès l’entrée de l’exposition, le ton est donné. La première œuvre exposée, Le Moulin rouge à Domburg, date de 1908. Il n’était donc pas question de témoigner des réels débuts de Mondrian dans l’orbite de l’École de La Haye, ni de la période symboliste du peintre. Selon les organisateurs, cela avait déjà été mis en évidence par des expositions et des publications antérieures. Le visiteur curieux ne manquera pas de visiter, au rez-de-chaussée, l’accrochage des collections permanentes où il retrouvera nombre de tableaux de Mondrian réaliste et symboliste, comme le célèbre triptyque Évolution, absent de la rétrospective officielle. On doit dès lors s’interroger sur la présentation offerte.

L’absence du fondement réaliste et symboliste ne biaise-t-elle pas la vérité historique de l’évolution proposée ? Y a-t-il incompatibilité, et peut-on prétendre présenter une œuvre en gommant ses dualités, voire ses ambiguïtés ?

Les commissaires de l’exposition ont voulu développer deux angles d’approche : montrer, d’une part, que Mondrian est toujours resté un peintre et d’autre part que ses toiles, à la facture personnelle, se déploient dans l’espace avec une sensibilité qui aspire moins au concept qu’à la liberté du geste pictural. Mondrian pense, mais traduit cette pensée en une image qui, à l’instar de la peinture conceptuelle, doit être perçue en fonction de l’espace dans lequel elle agit. Ainsi, les œuvres exposées ont-elles été débarrassées des cartels qui pertubent le dialogue de l’image et du mur blanc. De manière évidente, on trouve ici une condamnation de l’interprétation fonctionnaliste entreprise, par exemple, par les membres de De Stijl.

À côté des salles où l’œuvre s’impose, des petits salons documentaires offrent un éclairage scientifique qui ne pollue pas la "jouissance" esthétique. Pareille révision s’imposait. Elle définit en Mondrian un rénovateur de la peinture. L’"iconoclasme" esquissé dans le catalogue par Yves-Alain Bois s’inscrit dans ce besoin de table rase qui requiert moins le "sans-objet" que le "sans-sujet". Bois emprunte ici le même chemin que celui exploré par Carel Blotkamp dans un essai récent (lire l’article ci-dessous).

L’accrochage est articulé chronologiquement à partir des villes où Mondrian a travaillé. On met ainsi en évidence une problématique des lieux qui prive parfois le visiteur du plaisir de suivre certains thèmes dans leur cohérence interne. Ainsi en va-t-il de la célèbre série des pommiers, largement représentée, mais dans des salles différentes. Sans doute a-t-on voulu ne pas refaire ce qui avait été fait. L’exposition de La Haye offre une relecture intéressante et originale de l’œuvre de Mondrian. En privilégiant le Néoplasticisme, les organisateurs ont mis l’accent sur l’élément conceptuel de la pensée de Mondrian. On trouve ici les éléments d’une formulation originale de la contribution du peintre hollandais à l’histoire de l’Abstraction.

L’apport majeur de la rétrospective réside dans la très large présentation des œuvres de la dernière décennie. Entre 1930 et 1944, Mondrian dépasse le système mis en place pour explorer une nouvelle liberté à l’intérieur même du Néoplasticime.

On regrettera d’autant que La Haye n’ait pas bénéficié des largesses des collections américaines. L’essentiel des œuvres peintes à New York ne figure pas dans l’exposition qui, si l’on excepte un montage vidéo en fin de parcours, se termine de façon abrupte avec New York City I. L’absence de Broadway Boogie Woogie et de Victory Boogie Woogie lésera plus d’un visiteur. Il en va de même pour la section "Méthode de travail de Mondrian" qui, aux États-Unis seulement, illustrera le travail du peintre. Car c’est de cela qu’il s’agit, montrer qu’à travers la peinture Mondrian cherche la liberté. L’alchimie de l’atelier en témoigne avec sensibilité. Alors pourquoi priver l’Europe de cette découverte puisqu’elle est au centre de la démonstration – brillante – des commissaires de l’exposition ?

"Piet Mondrian", La Haye, Gemeente­museum, jusqu’au 30 avril, Stadhouderslaan, 41. Du mardi au samedi, de 9h à 21 h ; dimanche et lundi de 9h à 18 h. Entrée (réservation obligatoire) : 20 florins (60 F)(10 le lundi), informations : 077-35 19 51 depuis la Belgique ; 01-44 78 25 06 depuis la France. Catalogue en néerlandais, anglais, allemand, italien et français : 75 florins (225 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Mondrian, la liberté du geste pictural

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