Printemps nuageux au Salon de Mars

Un bilan globalement décevant

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 888 mots

Organisée à l’Espace Eiffel-Branly du 29 mars au 3 avril, avec 94 exposants (quinze galeries s’étant ralliées au projet au cours des semaines précédant l’ouverture), la 7e édition du Salon de Mars 1995 n’a suscité ni l’enthousiasme unanime des participants, ni celui, loin s’en faut, des amateurs.

PARIS - "Sur l’échelle de Richter des affaires, on n’est même pas à 1,5 degré. Il n’y a aucune secousse", s’est plaint le spécialiste d’art moderne et contemporain Marwan Hoss. "Une qualité qui n’est pas assez homogène, un manque d’ambiance et surtout, un manque de visiteurs", a déploré Rita Alix Meyer de la galerie Meyer, spécialiste en art océanien.

De trop nombreux stands pourvus d’objets de qualité médiocre – des tableaux quelconques (et souvent déjà vus) d’artistes contemporains célèbres, du mobilier XVIIIe assez banal (exception faite de quelques marchands de poids, parmi lesquels Philippe Perrin, qui déclare avoir très bien vendu, Gérard Orts, Étienne Lévy, la galerie Camoin), des tableaux anciens à peine décoratifs – ont, de nouveau, fait sentir un effort de remplissage, cruellement souligné par le nombre relativement faible de visiteurs : selon les organisateurs, 60 000 personnes, dont 35 000 le seul soir du vernissage, ont visité le salon, contre 70 000 en 1994 pendant les dix jours d’ouverture.

Une vrombissante grille d’aération
L’Espace Eiffel-Branly s’est révélé plus spacieux que la tente qui, jusqu’à l’année dernière, abritait le Salon sur le Champ de Mars, mais n’a accueilli, en fin de compte, qu’un public clairsemé, presque exclusivement parisien, et peu enclin à bourse délier. Richard Temple, de Londres, l’un des premiers spécialistes mondiaux en icônes russes, s’est séparé seulement d’une dizaine d’œuvres du XIXe siècle, "pour de petits prix, autour de 10 000 francs, et des petits bénéfices".

Son compatriote, le marchand d’art ancien chinois Michael Goedhuis, s’est plaint de n’avoir vendu qu’"une vingtaine d’objets", et parmi les moins chers. "Jusqu’à 50 000 francs, les affaires marchent. Au-delà, le Parisien ne veut plus rien savoir", nous a-t-il confié.

La qualité et l’originalité étaient présentes. Encore fallait-il les chercher. Reléguée au bout d’une allée et face à une vrombissante grille d’aération, la galerie Les Enluminures n’a vendu aucun de ses superbes livres d’heures et manuscrits médiévaux. Marwan Hoss, qui déclare avoir vendu juste assez de tableaux et de sculptures pour couvrir ses frais, proposait de très beaux dessins de Manolo Valdes (15 000 francs), de Julio Gonzalez (autour de 60 000 francs), de Gaudier-Brzeska (50 000 francs), et des tableaux de Chaissac, de Segui et de Torrès-Garcia. Au fond de son stand, était accroché un émouvant autoportrait d’Hélion au pastel et à l’aquarelle (60 000 francs), Portrait of the artist as two old men, 1980, exécuté alors que le peintre luttait contre une cécité grandissante.

Sculptures en écorce de fruit
Entourée d’œuvres de Curt Asker, Françoise Quardon, Gilles Touyard et Degottex, entre autres, et meublée par Bernar Venet – une grande table ronde à 120 000 francs, un sofa à 90 000 francs –, Jacqueline Moussion aurait, elle aussi, plutôt bien vendu. Inventive, la galerie Beaubourg consacrait tout son stand – des cache-pot, des tableaux, des sculptures en résine peinte à 35 000 francs, des paravents à 100 000 francs, et même le papier peint – à Combas.

Renos Xippas exposait de belles toiles du Catalan Pijuan et des sculptures de l’Argentin Reinoso, la galerie Louis Carré des œuvres de Gaston Chaissac et de Geer van Velde. La galerie Antoine de Galbert, de Grenoble, montrait d’étonnantes petites sculptures en écorce de fruit par Jérôme Glicenstein, à côté de pièces en acier et paille de Vincent Gontier, et en ardoise, marbre et acier de François Weil.

L’art primitif – chez des marchands tels que Lin et Émile Deletaille de Bruxelles, la galerie Meyer, la galerie Bernard Dulon et la galerie Ratton-Hourde de Paris – était remarquable de qualité et de diversité. Philippe Guimiot, de Bruxelles, participant de la dernière heure, exposait 60 sculptures tribales exceptionnelles, d’une "grande collection privée" dont il tenait à respecter l’anonymat, et qui n’étaient pas à vendre. Tout en déplorant le peu d’acheteurs étrangers, Alain de Monbrison, de Paris, spécialiste d’art tribal africain, a déclaré avoir enregistré d’aussi bonnes ventes que les années précédentes : "Les collectionneurs d’art primitif sont très acharnés, ils reviennent", nous a-t-il indiqué.

Masques de la collection Arman
La galerie Jacques Barrère organisait une excellente exposition de statuaire orientale, comprenant un bodhisattva en schiste du Gandhara, IIIe siècle, à 2 millions de francs, un très rare Sadaksari-Lokecvara, Mongolie vers 1690-1750, à 750 000 francs et un roi gardien japonais du XVIIe siècle, en bois sculpté polychrome, à 480 000 francs. Robert Burawoy proposait un choix de masques d’armures de la collection Arman de 30 000 à 70 000 francs, et de magnifiques casques de samouraïs de 100 000 à 175 000 francs, sans en avoir vendu aucun.

Autre pilier traditionnel du Salon de Mars, l’Art déco était particulièrement séduisant : une chambre à coucher en loupe de thuya, dessinée par et pour Paul Poiret à la galerie Claude, de Cologne (qui n’a rien vendu), de très beaux meubles de Chareau et de Mallet-Stevens à la galerie Doria, un très rare mobilier de salon de Boiceau datant de 1932, à 900 000 francs, à la galerie Vallois, et un ensemble des plus élégants (et presque entièrement vendu) de meubles de Dupré-Lafon à l’Arc en Seine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Printemps nuageux au Salon de Mars

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