Le retour du Printemps sacré

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 538 mots

Après l’Europe des métropoles, Jean Clair présentera du 8 juin au 15 octobre, au Musée des beaux-arts de Montréal, un vaste panorama du Symbolisme sous le signe du Paradis perdu. Diffusé par Flammarion, le volumineux catalogue s’impose d’ores et déjà comme une somme désormais incontournable par sa richesse documentaire.

Sous une couverture qui attire le regard, même si elle réduit le Symbolisme à ce qu’il a de plus factice et de plus stéréotypé, le livre sous la direction de Jean Clair multiplie les angles d’approche afin de recomposer une histoire dont l’éclatement et la diversité constituent un défi pour qui veut en faire la synthèse.

Aux essais qui donnent leur interprétation nécessairement partielle et partiale, répondent des études qui offrent à la fois un éclairage national – Pologne, Finlande, Suède, Belgique, Italie, Tchéco­slovaquie – et des approches thématiques essentielles – le livre, la photographie, l’architecture, les synesthésies, le sentiment religieux, les images de la folie.

Cette pluridisciplinarité était impérative pour définir un mouvement qui n’a jamais réellement trouvé sa définition, malgré nombre de tentatives de Moréas à Mockel, en passant par les peintres et écrivains qui ont voulu dire ce qu’était le Symbolisme alors que l’idée même de symbole, au sens où l’entendait Mallarmé, échappait au langage conventionnel pour se révéler dans la sensation, dans la suggestion et dans l’analogie.

L’interprétation est donc nécessaire, et Jean Clair ne s’y dérobe pas. On sera d’un avis contraire, on lui reprochera sa conception peut-être exclusive ou trop littéralement ancrée dans le monde viennois, on critiquera certaines généralisations, mais on devra lui reconnaître le mérite de susciter un réel débat sur le Symbolisme, en avançant une recherche fondée sur une prodigieuse érudition et sur une sensibilité aiguë aux forces qui traversent les profondeurs de l’image. L’exploration de l’inconscient constitue sans doute le noyau central du travail accompli ici.

Nous y reviendrons à l’occasion de l’exposition. Pour Jean Clair, le Symbolisme cristallise ces trois frustrations infligées par la science moderne : l’homme n’est pas au centre de l’univers, il n’est pas l’aboutissement d’un projet divin mais le fruit d’une évolution animale, et la raison tant chérie par les positivistes dévoile, tel un iceberg, ses zones d’ombre terrifiantes.

L’angle choisi est bien celui d’une anthropologie symboliste, qui se tient à un niveau de globalité dont on regrettera parfois le caractère désincarné. Les artistes, dans leur individualité, en sont singulièrement absents. Tel était la règle du genre. Jean Clair livre ici un essai dans le droit prolongement de sa préface à L’Apocalypse joyeuse : les avatars de la psyché sont à la rencontre de la connaissance telle que la science la formule à la fin de siècle. Doute et mise en abîme d’une cérébralité triomphante, que L’âme au corps, présentée au Grand Palais il y a un peu plus d’un an, mettait déjà en scène.

L’engagement politique et le contexte historique offrent peu de prises sur ce débat, qui ignore aussi l’incidence du Symbolisme sur l’esprit des avant-gardes du XXe siècle. L’ouvrage, splendide, offre un éclairage pessimiste sur une fin de siècle déshumanisée à force de se vouloir animiste. Un beau débat en perspective, car le Symbolisme n’en finit pas de se dérober.

Paradis perdu. L’Europe symboliste, Flammarion, 560 pages, 600 illustrations, 475 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Le retour du Printemps sacré

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