Le douanier et l’Oiseau

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 446 mots

Sous-titré \"un procès historique\", l’ouvrage reprend des extraits des minutes du procès qui avait opposé, d’octobre 1927 à novembre 1928, Brancusi à l’administration des douanes américaines. L’affaire est connue et le verdict aussi. Une sculpture de bronze doré, L’Oiseau, avait été considérée comme objet manufacturé lors de son importation aux États-Unis en 1926 et frappée de 40 % de droits de douane.

Brancusi n’était pas un inconnu et ses supporters non plus (au premier rang figurait Marcel Duchamp, qui avait convoyé le chargement litigieux, mais également des journalistes, critiques d’art et conservateurs de musée) : l’affaire prenait donc rapidement un grand retentissement et se présentait comme la lutte des anciens et des modernes.

La singularité de la procédure américaine, en particulier la citation de témoins, leurs interrogatoires et contre-interrogatoires, dont rend compte la première partie de l’ouvrage, donne à cet affrontement symbolique le pittoresque des séries américaines dans la forme d’une pièce de théâtre enlevée, mais pas forcément de haute tenue. Pour les lecteurs qui voudraient aller à l’essentiel, les conclusions des avocats et leur mémoire – page 74 à 104 – comportent des résumés des témoignages et des qualités des témoins.

Au terme de ces interrogatoires, les avocats de Brancusi avaient conclu, pour obtenir la franchise douanière, que "l’article" était une sculpture ou une statue originale, "production d’un sculpteur professionnel", et non un article utilitaire, répondant ainsi à la définition douanière des œuvres exonérées de droit de douane. L’avocat des États-Unis contestait cette thèse en opposant aux témoins cités par Brancusi ceux de deux sculpteurs américains, qui déniaient toute valeur artistique à l’objet.

Dans son jugement du 26 novem­bre 1928, après avoir rappelé les décisions antérieures, le juge observait que depuis ces jugements, "une école d’art dite moderne s’est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels", et précisait "que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte".

Avec des considérations plus confuses sur la beauté de l’objet, sa finalité décorative… le juge donnait raison à Brancusi. Fait rarissime, selon l’avocat de l’artiste, il incorporait à son jugement la photographie de l’œuvre, "compte tenu de la difficulté de décrire la pièce avec une précision suffisante".

Dire que ce jugement est historique est peut-être un peu forcer le trait. L’Amérique avait, souvent avant l’Europe, compris et admis les avant- gardes.

Brancusi contre États-Unis, Un procès historique 1928, préface de Margit Rowell, postface et fortune critique par André Paleologue, Éditions Adam Biro, 144 p., 120 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Le douanier et l’Oiseau

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