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Les « arts premiers » en débat au Louvre

Réunissant les chefs-d’œuvre du Musée du quai Branly, le pavillon des Sessions fête ses 10 ans

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2010 - 667 mots

PARIS

Le pavillon des Sessions, espace abritant une centaine de chefs-d’oeuvre du Quai Branly au sein du Louvre, fête ses 10 ans. L’occasion de s’interroger sur la complémentarité de ces deux lieux d’exposition avec les présidents de ces établissements publics et l’historien de l’art Jean Polet.

En mars 1990, le collectionneur Jacques Kerchache publie dans le quotidien Libération son célèbre manifeste appelant à la création d’un huitième département au Musée du Louvre. Celui-ci devait, selon lui, être consacré aux arts alors regroupés sous le générique « d’arts premiers », comprenant notamment la sculpture africaine.

Soutenue par de nombreux intellectuels, l’idée ne convainc pas les politiques – si ce n’est un certain Jacques Chirac, maire de Paris, que Kerchache rencontre en 1992. L’année suivant son élection à la présidence de la République, Jacques Chirac annonce un double projet : l’ouverture au Palais du Louvre, dans l’ancien pavillon des Sessions, non d’un département (dévolu par la suite aux arts de l’Islam), mais d’un espace consacré aux arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques (et à un degré moindre à l’Asie) ; la création d’un grand « musée des arts et civilisations », qui portera, au final, le nom du site parisien où il sera construit, quai Branly.

Le projet du pavillon des Sessions déclenche une levée de boucliers au sein du Louvre, et la résistance en particulier du président-directeur de l’époque. D’autant plus que cet espace retire 1 400 mètres carrés au département des Arts graphiques.

Esthétisation
Regroupant cent huit chefs-d’œuvre issus des arts non occidentaux sélectionnés par Jacques Kerchache, le pavillon des Sessions est finalement inauguré le 13 avril 2000 après des travaux. Le Quai Branly en assure la gestion tandis que le Musée du Louvre a en charge le gardiennage et la billetterie.

L’événement s’accompagne de plusieurs polémiques, dont la plus grave aura été sans nul doute le scandale des statues Nok. Sorties illégalement du Nigeria et figurant sur la liste rouge (1) de l’ICOM [Conseil international des musées], ces trois œuvres font partie de la sélection de Jacques Kerchache. Des conservateurs du monde entier s’émeuvent de la situation, qui sera réglée a posteriori par une convention renouvelable entre la France et le Nigeria (les œuvres sont prêtées pour une durée de vingt-cinq ans).

Certains spécialistes s’irritent aussi des 150 millions d’euros prévus pour enrichir les collections du futur musée des arts et des civilisations (et au passage du pavillon des Sessions), une somme considérée comme une manne pour les marchands et collectionneurs.

Aujourd’hui encore, le Musée du quai Branly dépose au Louvre quelques-unes de ses plus belles acquisitions. Lumineuse et élégante, la muséographie de l’architecte Jean-Michel Wilmotte magnifie les pièces du pavillon et en valorise la seule qualité esthétique.

Ce parti pris radical devait être compensé par l’approche plus scientifique promise par le futur Musée du quai Branly – une forme de compromis pour régler les vieux antagonismes opposant collectionneurs et anthropologues. Mais, aux yeux de certains spécialistes comme Jean Polet, le Quai Branly a failli à sa mission et ne fait que reprendre les choix du pavillon des Sessions (lire l’entretien ci-dessous).

Pour l’heure, le président du Quai Branly et son homologue du Louvre réfléchissent à des solutions qui permettraient de sortir le pavillon de son splendide isolement (lire l’entretien p. 7). Une réflexion devrait être aussi menée par rapport aux visiteurs non avertis qui n’ont pas le réflexe d’utiliser les outils mis à disposition dans la petite salle d’interprétation, et traversent comme des fantômes le bel espace de Wilmotte.

Si « l’esthétisation méticuleuse de l’art africain au pavillon des Sessions est une des plus réussies en son genre », soulignait ainsi l’historienne Suzanne Vogel dans la revue Le Débat (no 147, nov. 2007), « la perfection, la clarté, le fini élégant et l’esthétique aboutie de ces installations supposent l’autorité, la certitude que toutes les questions ont trouvé leur réponse. Ce genre de message a le pouvoir de rassurer. Sauf qu’il est mensonger et étouffant. »

Notes

(1) qui recense les biens culturels strictement interdits à l’exportation.

Légende photo

Pilier de maison gwasila, Colombie Britannique, exposé au Pavillon des Sessions, inauguré en 2002 au sein du musée du Louvre, Paris. © Photo : musée du quai Branly, photo Didier Boy de la Tour.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°322 du 2 avril 2010, avec le titre suivant : Les « arts premiers » en débat au Louvre

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