Thiers - Balka dans l’Enfer

Une position minimale et singulière

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 498 mots

Le Creux de l’Enfer, à Thiers, présente la première exposition personnelle en France de l’artiste polonais Miroslaw Balka, né en 1958, dont les sculptures empruntent un vocabulaire singulier et minimal. Un dialogue sur le thème de la mélancolie se noue avec le photographe Éric Poitevin, exposé simultanément.

THIERS - L’exposition de Balka investit les deux premiers niveaux du Creux de l’Enfer ainsi que le petit espace s’ouvrant sur le rocher. L’artiste présente notamment, au premier niveau, deux éléments métalliques allongés sur pieds et dont les surfaces intérieures sont recouvertes de feutre et enduites de savon. À l’étage, l’agencement des œuvres répond à celui du rez-de-chaussée. Ici, les parallélépipèdes d’acier sont parcourus par un sillon de cendre. Il se dégage de l’exposition une ambiance particulière de gravité et de recueillement.

Cette rigueur formelle, née de la pauvreté des matériaux, contraste singulièrement avec la joyeuse explosion kitsch et ludique puisée dans la société de consommation et les médias par certains jeunes artistes occidentaux.

Cette économie de moyens, Miroslaw Balka l’extrait de son quotidien. À Otwock, dans la banlieue de Varsovie où il vit et travaille, de multiples débris de bois et de métal jonchent le sol, mêlés à de la boue ou à de la graisse, autant de souvenirs de l’industrialisation abandonnés ici et là. En contraste, sa maison – son foyer dans le plein sens du terme – est chargée de souvenirs d’enfance et de traces de vie de parents.

Les pièces de Balka sont emplies de ces oppositions intérieur/extérieur, chaud/froid, vie/mort. Son lexique formel se réduit à quelques matières, dans lesquelles il retrouve ces contrastes ainsi que ses souvenirs. Le métal rouillé, substance essentielle de son corpus, évoque le passage du temps sur la matière et constitue la métaphore de l’élément inhumain, non-organique, coupant et blessant. L’artiste, dans son processus créateur, associe l’acier froid à des éléments chauds. Ainsi, Balka recouvre ses structures métalliques de savon, matière intime et purificatrice.

Il y colle de vieilles moquettes, du linoléum ou du feutre, symboles de la chaleur interne de son propre habitat. Ses pièces sont souvent saupoudrées de sel, résidu pour Balka de la sueur ou des larmes, seul élément blanc, donc pur, ou de cendre, substance de mort née du feu. Les titres s’effacent au profit de chiffres, matricules répondant aux dimensions de chaque pièce, elles-mêmes strictement limitées à un mètre quatre-vingt-dix, la taille de l’artiste.

Aussi l’humanité sous-jacente réapparaît-elle dans cet éternel dialogue du positif et du négatif, électrode canalisant le flux d’énergie vitale. Ces traces de vie rendent l’atmosphère de l’exposition profondément nostalgique. Répondant à cette mélancolie, Éric Poitevin expose au sous-sol du centre d’art de nouvelles photographies de paysages, des marécages et des sous-bois, ainsi qu’une série de crânes, déjà présentés précédemment.

"Miroslaw Balka - Éric Poitevin", Le Creux de l’Enfer, Vallée des Usines, 63300 Thiers. Jusqu’au 25 juin. Ouvert tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h, le week-end de 14h à 19h, fermé le mardi. Tél. 73 80 26 56.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Thiers - Balka dans l’Enfer

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