New York

Richard Oldenburg passe du MoMA à Sotheby’s

L’ancien directeur du Musée d’art moderne s’explique sur sa décision

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 918 mots

Sotheby’s vient de nommer Richard Oldenburg, ancien directeur du Musée d’art moderne de New York (MoMA) de 1972 à 1994, au poste de président de Sotheby’s-Amérique du Nord. Âgé de 61 ans, il remplace John Marion, parti à la retraite à la fin de l’année dernière, après trente-cinq ans de carrière dans la maison de vente.

NEW YORK (de notre correspondant) - Si la nomination de Richard Oldenburg a créé une certaine surprise, elle n’est pas sans précédent. Perry Rathbone, ancien directeur du Musée des beaux-arts de Boston, avait passé plus de dix ans chez Christie’s après avoir quitté le musée. En Europe, Emmanuel de Margerie avait été nommé président de Christie’s-Europe, après avoir été directeur des Musées de France et ambassadeur.

Pour justifier la nomination de Richard Oldenburg, les dirigeants de la maison de vente ont mis en avant son expérience, sa crédibilité et le vaste réseau de relations qu’il a constitué au long de ses deux décennies passées à la tête du MoMA. Sotheby’s, qui a perdu ses meilleurs spécialistes en art contemporain – et certains de ses clients – dans le courant de l’année dernière, attend d’Oldenburg qu’il donne plus de poids à la maison de vente.

Votre nomination à la présidence de Sotheby’s-Amérique du Nord était-elle acquise depuis longtemps ?
Richard Oldenburg : Après mon départ du MoMA, plusieurs musées m’ont contacté. J’ai également envisagé de donner un cours à Harvard sur la direction de musée. Peu de temps avant mon départ pour Saint-Pétersbourg, où je suis allé conseiller le Musée national russe, Sotheby’s est entré en relation avec moi. Après cinq semaines passées en Russie, la proposition s’est précisée et m’a paru intéressante.

Avez-vous l’impression d’exercer le même métier ?
Le milieu est le même, seul mon rôle a changé. On traite toujours avec les mêmes collectionneurs ou une grande partie d’entre eux.

Les principaux donateurs sont fréquemment ceux qui renouvellent leur collection, en vendant et en achetant des œuvres. En outre, les relations entre musées et maisons de vente sont privilégiées, non seulement à l’occasion d’achats ou de ventes ponctuels, mais aussi pour ce qui concerne les services muséologiques.

Les maisons de vente fournissent, par exemple, une très grande aide aux musées pour l’évaluation des assurances, et elles contribuent directement aux programmes de formation. C’est un monde global où chacune des deux parties vient s’intégrer dans un tout, et je ne vois pas d’antagonisme entre elles. C’est du business, bien sûr, mais – faut-il le déplorer ? – les musées en font aussi à un degré élevé, puisqu’il faut avoir l’œil sur tout, du nombre des visiteurs à celui des sociétés mécènes, en passant par le recouvrement des cotisations des sociétaires individuels. Les techniques, les enjeux et les moyens ne sont pas si différents.

Que pensez-vous des préventions que certaines personnes du monde des musées ont à l’égard des maisons de vente ?
Je ne crois plus qu’il existe de tels préjugés défavorables vis-à-vis des maisons de vente. Cette idée remonte à plusieurs années déjà, lorsque le musée était encore un refuge d’érudits et d’amateurs très spécialisés, attirant un public confidentiel. C’était un monde différent, dans lequel il y avait d’un côté le temple de l’art, de l’autre la trivialité du commerce.

La situation actuelle n’est pas comparable. Au cours des deux dernières décennies, les maisons de vente ont évolué, les galeries se sont multipliées et de grands marchands d’art contemporain sont apparus, tout comme il y a eu de grands marchands pour l’art moderne. Je pense que l’ensemble du monde de l’art est beaucoup moins cloisonné que naguère. Personne n’y a perdu, selon moi, et les musées se sont rapprochés de la communauté artistique vivante.

Auriez-vous un conseil à donner au conseil d’administration d’un musée qui chercherait un nouveau directeur ?
Il devient de plus en plus difficile d’être directeur de musée. En outre, les conseils d’administration ont changé, et l’on y trouve aujourd’hui des gens qui n’ont pas une longue habitude de l’institution qu’ils sont censés administrer. Il existe chez eux une tendance à penser : "Prenons un gestionnaire professionnel pour diriger tout cela", en renonçant à une bonne partie de leur mission. Ils espèrent qu’en nommant un tel directeur, ils pourront se décharger de leur rôle de collecteurs de fonds. C’est impossible, et même dangereux pour plusieurs raisons.

La plus dangereuse de toutes étant la confusion sur la nature même d’un musée : il s’agit avant tout d’art, pas d’une simple affaire de gestion. Non que les musées doivent être mal gérés, mais ce n’est pas là leur objectif essentiel.

De surcroît, le métier de directeur est devenu si exigeant sur le plan de la gestion qu’il exclut presque automatiquement toute formation universitaire sérieuse en histoire de l’art. Les historiens de l’art ont donc de moins en moins d’attirance pour ce genre de carrière. C’est pourquoi, en essayant d’organiser un enseignement spécifique à Harvard, nous cherchons à encourager ceux qui ont choisi le monde des musées en raison de leur passion pour l’art, à ce qu’ils prennent leurs responsabilités et acceptent de diriger ces institutions.

S’ils ne le font pas, ils accepteront ipso facto que les musées soient dirigés par des gens moins soucieux d’art que de management, et ils se verront contraints de travailler sous leurs ordres.

L’enjeu est de faire du directorat une fonction qui montre clairement que l’art est la première raison d’être d’un musée. Ce faisant, l’on pourrait soulager le directeur d’une partie de ses responsabilités en créant une instance de gestion qui serait au-dessous de lui plutôt qu’au-dessus.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Richard Oldenburg passe du MoMA à Sotheby’s

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