La cote à Paris, Londres et New York

L’art primitif africain : des critères particuliers

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 1250 mots

Dans les salles de vente, les amateurs se disputent les objets africains, témoignages d’un art que l’on dit \"primitif\". Beaucoup d’œuvres demeurent cependant abordables, pour peu que l’on sache apprécier les critères sur lesquels se fonde leur réel intérêt.

Les relations nouées par le monde occidental avec l’art africain ont suivi des chemins complexes et qui ont évolué dans le temps. Les premiers objets issus de ce continent à parvenir en Europe – des curiosités au sens propre du terme – sont sans nul doute dus aux explorateurs. Vint ensuite l’époque de la colonisation et des missionnaires avec, pour corollaire, des prélèvements massifs et de regrettables destructions ; en effet, beaucoup d’administrateurs ont rapporté en métropole nombre d’objets (qui forment aujourd’hui le noyau des "vieilles collections européennes") alors que, sur place, disparaissaient les "idoles" dans les bûchers d’une moderne Inquisition.

Malgré tout, l’Europe s’est alors familiarisée avec ces objets et les a envisagés d’un autre œil, notamment grâce aux artistes, même si ces derniers ont parfois préféré aux pièces les plus intéressantes celles qui apportaient des solutions plastiques à leurs propres recherches.

Au cours des dernières décennies, l’art africain a fini par acquérir véritablement droit de cité au point de devenir une spécialité comme tant d’autres au sein du marché de l’art. La valeur marchande des objets a considérablement augmenté – ce qui n’a pas manqué d’avoir des conséquences néfastes, sous forme de trafics illégaux dont l’ampleur devient alarmante (1) – et a suivi la courbe des cours, rendant ainsi rentables les exactions de certains négociants sans scrupules.

Ceux-ci se trouvent "encouragés" dans leurs entreprises par la misère économique, la corruption et l’instabilité politique qui, malheureusement sont encore trop souvent le lot de maints États africains. Et même si certains se sont dotés d’une législation protectrice, tous ne disposent pas des moyens nécessaires pour en faire respecter les dispositions.

Des œuvres à "pedigree"
Si l’on aborde le marché "légal" de l’art africain tel qu’il existe en Europe et aux États-Unis, plusieurs constatations s’imposent : leur méconnaissance risque en effet de dérouter l’amateur néophyte. Notons tout d’abord que le terme "primitif" ne possède en lui-même aucune connotation péjorative : les arts primitifs sont les arts antérieurs à l’écriture ou à la diffusion de celle-ci ; en ce sens, on parle d’ailleurs aussi d’un art primitif européen.

Autre facteur important, l’authenticité. Les critères diffèrent ici sensiblement de ceux applicables dans d’autres domaines. Un objet africain sera considéré comme authentique s’il a été créé par et pour les Africains, ceci dans un but cultuel ou rituel. Ce dernier point s’avère fondamental : par exemple, un objet véritablement fabriqué au Mali par l’ethnie Dogon sera cependant considéré comme un faux si un tel but n’a pas présidé à sa création.

Par ailleurs, l’ancienneté joue ici un moins grand rôle que dans d’autres secteurs. Si les objets antérieurs au XIXe siècle sont rares dans les ventes, l’ancienneté "objective" n’a jamais été un critère. En fait, chaque ethnie a connu des phases successives : archaïsme, classicisme et décadence ; tout amateur s’attache à ne posséder que des objets appartenant aux deux premières.

De même, l’état de conservation des objets n’est pas indifférent, mais on se montrera assez aisément indulgent pour certaines imperfections qui apparaîtraient ailleurs rhédibitoires, car elles confèrent parfois aux objets un attrait supplémentaire (on pense ici à la beauté que conservent certaines sculptures, pourtant ravinées par les intempéries).

Quant aux restaurations, elles n’affectent pratiquement pas la valeur des objets pour autant qu’elles aient été effectuées sur place : on tend même à y voir un atout : ne sont-elles pas la preuve de l’intérêt que les Africains eux-mêmes portaient à l’objet ?

Enfin, et malgré des efforts récents dans ce sens, il n’existe encore que peu d’ouvrages de référence sur l’art africain. La carence est d’autant plus regrettable qu’on cherche à y pallier par la prise en considération du "pedigree" de l’œuvre. Un objet issu d’une collection "ancienne" se trouve ainsi fortement valorisé, ce qui peut parfois s’avérer dangereux car une brillante provenance n’est pas forcément synonyme de qualité.

Une cotation délicate
Le marché de l’art africain souffre d’un autre handicap : il repose essentiellement sur la sculpture qui, en l’absence d’écriture, permettait à l’âme d’un peuple de s’exprimer ; elle était à la fois un moyen de communication avec le monde des vivants et celui des ancêtres défunts. Or, chaque sculpture est une œuvre unique ; toute cote se montre donc très délicate – voire impossible – à établir. Tout au plus peut-on avancer une généralité : l’art africain avait peu profité de l’envolée globale du prix des œuvres d’art entre 1986 et 1990 ; en contre-partie, il a peu souffert de la récession qui se manifeste de façon particulièrement sensible pour la peinture postérieure à 1870.

Selon l’expert Bernard Dulon, un nombre croissant de collectionneurs de peinture contemporaine se tournerait même vers cette forme d’expression artistique, trouvant à la fois des œuvres de qualité et des prix somme toute raisonnables. Cependant, la situation apparaît différente pour les pièces de qualité, dont les prix se maintiennent ou progressent, et celles de niveau plus moyen qui se négocient actuellement avec une relative difficulté. C’est le cas par exemple des fétiches Kota, qui ont bénéficié d’une spectaculaire envolée des prix que ne justifiaient pas toujours leurs mérites intrinsèques.

Un marché accessible
Dans son ensemble, le marché des objets africains demeure accessible à un large éventail de collectionneurs : en vente publique, les pièces les plus exceptionnelles franchissent rarement la barre du million de francs, et on trouve à partir de dix mille francs (parfois même moins) des objets non dénués d’intérêt. En ce domaine plus que dans d’autres, il convient de souligner que la notion d’argent est relativement indifférente : pour quelques milliers de francs à peine, chacun peut se rendre maître d’un objet parfaitement authentique et esthétiquement satisfaisant ; les spécialités du marché de l’art à propos desquelles on peut dresser pareil constat ne sont pas si fréquentes...

Malgré ces atouts, le marché des objets africains demeure encore confiné dans un cercle d’amateurs relativement étroit. Mais il s’agit le plus souvent de passionnés connaissant leur domaine aussi bien que les marchands les plus spécialisés. Si quelques collectionneurs se cantonnent dans un secteur bien déterminé ou dans un type d’objets (par exemple les poulies de métiers à tisser), si d’autres se bornent à établir des correspondances esthétiques entre sculptures africaines et tableaux modernes, maintes collections semblent très générales et englobent (ou tentent de le faire) tout l’art africain.

À vrai dire, tout les y pousse : les frontières qui divisent aujourd’hui ce continent sont de création récente et ne tiennent pas compte des ethnies ; d’autre part, les centres de création abondent, et beaucoup d’amateurs répugnent à privilégier l’un par rapport à l’autre. Du Mali au Gabon en passant par le Nigéria et le Zaïre, pratiquement chaque zone de l’Afrique a été le théâtre de production de superbes objets, à l’exception peut-être du Sénégal et sans doute des régions soumises à l’influence de l’Islam. De plus, de récentes découvertes archéologiques montrent que se sont développées en Afrique d’importantes civilisations un demi-millénaire avant le Christ.

À chacun donc de faire ses choix et de jouir de l’abondance et de la diversité des objets disponibles sur le marché, un marché que tous les spécialistes s’accordent à juger sain, pour autant que l’amateur encore néophyte ne s’adresse qu’à des professionnels reconnus.

(1) L’Icom tente d’éveiller sur ce point la conscience internationale, voir à ce sujet le JdA n° 2, avril 1994

Pour se familiariser avec l’art africain, l’amateur tirera profit des ouvrages publiés par la Fondation Dapper et de la revue "Arts d’Afrique Noire". On trouvera une liste d’experts et de galeristes dans le Guide du Marché de l’Art publié par le JdA.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : L’art primitif africain : des critères particuliers

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