Brighton

Le fétichisme sort de l’ombre

De l’obscurité à la lumière, une exposition initiatique

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 410 mots

Même s’ils se renvoient mutuellement un écho inquiétant et fantasmatique, un abîme culturel sépare les figurines africaines à pointes – qui ont introduit le terme de fétichisme dans le vocabulaire érudit – et les corps transpercés de certains fétichistes contemporains présentés dans le cadre d’une exposition au Museum and Art Gallery de Brighton.

LONDRES - L’exposition de Brighton est conçue comme un processus d’initiation. La première salle est obscure, étroite, compliquée, hérissée par la présence extrêmement forte de plusieurs fétiches à pointes et autres figures de pouvoir des tribus d’Afrique centrale. Né des réactions des colons portugais face à ces objets rituels, le mot fétichisme fut repris par les premiers anthropologues occidentaux pour expliquer que ces artefacts renfermaient des pouvoirs actifs. Le catalogue de l’exposition attire l’attention sur une interprétation intéressante, qui voit dans ces fétiches une adhésion mal comprise aux enseignements des premiers missionnaires.

Le fait est qu’il existe une indiscutable parenté entre ces corps percés et torturés et l’iconographie sacrée du christianisme. C’est à cet "autre", au "primitif" profondément enfoui dans la culture occidentale, que se référaient les surréalistes en envoyant, en 1931, à l’exposition anticoloniale intitulée "Fétiche européen", une statue de Vierge à l’Enfant.

Points de fixation du désir sexuel
La deuxième salle de l’exposition montre l’exploration de l’objet et des parties du corps – points de fixation du désir sexuel – à laquelle se livraient les surréalistes, qui jugeaient ces tendances positives dans la mesure où elles émanaient d’une imagination libérée et puissante. Cet espace, un peu plus ample que le précédent et plongé dans la pénombre, conduit le visiteur à la troisième et dernière salle, vaste et brillamment éclairée par la lumière naturelle. Celle-ci est consacrée au fétichisme vu par les artistes contemporains.

Qu’ils soient si nombreux à étudier ce thème, sans être pour autant des fétichistes "pratiquants", semble-t-il, montre à quel point celui-ci appartient aujourd’hui au domaine public. Les œuvres s’intéressent en général à des fragments du corps, en particulier aux cheveux et aux vêtements, parfois aux biens de consommation. À leur façon, ces fétiches sont aussi dérangeants que les fétiches à clous africains, bien que dépourvus de leurs pouvoirs supposés. Et la présence de nombreuses femmes parmi les artistes représentés donne encore plus de poids aux théories récentes réfutant l’hypothèse freudienne : le fétichisme n’est nullement une province masculine.

"Fetishism", Museum and Art Gallery, Brighton, jusqu’au 30 juin. Nottingham Castle Museum, de mi-juillet à fin août. National Gallery, Londres, de mi-septembre à fin octobre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Le fétichisme sort de l’ombre

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